Si la tolérance est ce respect, cette reconnaissance de l'autre comme être de liberté, peut-elle encore s'exercer lorsque cet autre transgresse lui-même ce principe pourtant primordial ? Faut-il tolérer l'intolérance ? C'est bien ici le rapport d'un principe à sa transgression qu'il s'agit d'examiner. Tolérer l'intolérance, n'est-ce pas réfuter l'essentialité de la tolérance en acceptant sa transgression ? Et ne pas la tolérer, n'est-ce pas soi-même se trahir en combattant un mal par le même mal ?
[...] Face à l'intolérance, Socrate ne tombe pas dans le piège de l'intolérance : tout en la tolérant, il la combat. Ses armes se nomment Raison, questions, éducation, pédagogie. Ce sont certainement ces voies qui permettent de combattre l'intolérance sans pour autant trahir le principe de tolérance. L'exemple de Socrate est éclairant à double titre puisqu'il fut lui-même confronté à l'intolérance de ses concitoyens et juges. Accusé d'athéisme et de subversion de la jeunesse, il restera jusqu'à la mort fidèle aux principes de tolérance et de justice. [...]
[...] Le tout est de le savoir, de ne pas se voiler cette vérité. Après avoir chassé Dionysos de la Cité, on le célèbre deux fois par an en son sein, puis il disparaît à nouveau ; comme si chacun voulait se souvenir de la Bête qui sommeille en lui pour mieux la contrôler et ne pas menacer la vie de la Cité. Il en est de même de l'intolérance : il faut tolérer l'intolérance pour mieux la combattre par les voies de la Raison. [...]
[...] Croire en cette possibilité, c'est croire en la force de la Raison, et c'est aussi croire en l'intégrité du principe de tolérance, légitime et applicable même lorsque confronté à son antithèse, à son ennemi, à ce danger de l'intolérance. Sauf à tomber dans un relativisme sceptique mou et informe, on ne peut tout accepter. Et il est clair que l'intolérance doit être combattue. Mais pas niée. L'intolérance ne tue pas l'intolérance : elle la renforce. L'Eglise chrétienne est tombée dans ce piège : religion d'amour et de respect du prochain, elle s'est rendue coupable d'atroces massacres au nom de ces mêmes principes. [...]
[...] Plutôt que de se prendre au piège qui consiste à faire preuve d'intolérance vis à vis de l'intolérance, et ce au nom de la tolérance, n'existe-t-il pas une solution autre que ce refus, ce rejet, cette négation qui comme toute négation ne fait que renforcer ce qu'elle entend combattre ? Ce travail du négatif qu'analyse Hegel trouve une illustration très explicite, pour ce qui nous concerne, dans le phénomène de la censure. Pour prendre un exemple plus précis, faut-il censurer les publications d'histoire révisionnistes ? N'est-ce pas faire leur promotion par l'excitation que suscite inévitablement tout interdit ? Toute censure, même de " bonne intention même s'exerçant au nom de la tolérance contre l'intolérance ne fait souvent qu'attiser et renforcer en la rejetant la manifestation de l'intolérance. [...]
[...] Sans ce refus, sans cette passion, point de Révolution française, point de Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen, bref, point de progrès vers une plus grande humanité de l'homme, cette humanité qui ne saurait se construire que dans l'acceptation des différences et des désaccords qui ne sauraient être effacés par aucun artifice dictatorial ou autre rêve d'uniformisation. Car telle est la nature humaine, une et multiple, singulière et plurielle, foisonnement d'individus particuliers participant d'un universel commun. Ne pas tolérer l'intolérance paraît donc légitime et ce à double titre : d'une part, en réaction à la rupture d'un pacte d'association fondateur, d'autre part en prévention d'un danger pour la cohésion et la paix de la Cité. Mais jusqu'à quel point ce noble combat n'est-il pas lui-même intolérant ? [...]
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