Les deux dangers principaux sont ici de tomber dans l'énumération et de ne pas saisir le double sens du
verbe. Dans son acception classique, tolérer signifie endurer, souffrir, supporter ce que l'on ne peut
endurer. Dans son acception moderne, tolérer signifie reconnaître, accepter, les différences. La
difficulté réside dans la coordination des deux significations au sein d'une seule réflexion. Un bon
moyen est de faire entendre très vite la question dans le sens des limites de la tolérance. Il y aurait des choses que la tolérance elle-même n'aurait pas, ou ne devrait pas endurer, sauf à sombrer dans ce qui
n'est pas elle, à savoir : la lâcheté, la mollesse, le laxisme, la démagogie, l'indifférence, le cynisme, le fatalisme.... L'établissement de limitations à la tolérance se défend, si l'on veut, avec Platon et son
maintien des hiérarchies naturelles, et il ne faut point hésiter à aller jusqu'à mentionner avec le fait
chrétien ou totalitaire que l'on puisse répondre rien à cette interrogation. Lorsque Calvin ordonne
l'exécution de Michel Servet, il se montre aussi intransigeant que Bellarmin condamnant Bruno au
bûcher. A l'égard du pécheur, la tolérance est une faute, celle qui ne nous fait pas assister une personne en danger de mort spirituelle, celle qui ne nous fait pas réprimer l'hérésie, celle qui ne nous fait pas étouffer son exemple, celle qui ne nous fait pas défendre l'honneur de Dieu.
[...] Pourquoi? Eh bien parce que cette liberté, quand elle est respectueuse du droit et n'est pas séditieuse, est favorable à la paix et à la prospérité de l'Etat. L'Etat n'existe et ne vit que par la vie des individus qui le composent. Plus les échanges, et notamment les échanges intellectuels, se multiplient sans entraves (Sujet : Les vertus du dialogue), plus le champ de perception et d'expérience des individus s'élargit et s'enrichit, plus les thèses raisonnables s'imposent et plus l'Etat remplit sa fonction. [...]
[...] La loi constitue-t-elle pour la liberté un obstacle ou une condition?). Dans un Etat juste, le sujet veut spontanément ce que la loi commande, à la différence de l'esclave qui obéit sans réfléchir ni savoir. La démocratie inverse les mécanismes de dépendance passionnelle en mécanismes de réciprocité politiquement active. La raison y est donc particulièrement susceptible de se faire entendre, parce que la particularité du désir y est étouffée par la logique du consentement et de la volonté commune assistée de la contrainte de la loi. [...]
[...] L'exigence scientifique commande l'intolérance théorique, laquelle peut s'accompagner de la tolérance pratique lorsqu'il s'agit de s'accorder sur des opinions pratiques. A l'inverse, la tolérance théorique témoigne d'une conscience de la faiblesse de nos esprits - elle est une forme de doute qui ouvre au relativisme, au scepticisme, à l'approximatif, à la prudence. Spinoza ne verse pas dans l'intolérance pratique, dans la mesure où il est impossible d'enlever aux hommes la liberté de dire ce qu'ils pensent, et cette liberté est un point favorable à la paix et à la prospérité de l'Etat. [...]
[...] Ne deviennent hérétiques et schismatiques que les opinions qui suscitent la rébellion, la colère et la haine, et notamment l'exclusivisme religieux qui prétend que mon Eglise est la seule porte de salut. Dans le domaine de la tolérance religieuse, il y a place pour des limites, c'est-à-dire pour de l'intolérable. Mais point seulement là. Si la recherche de la vérité participe entièrement de la philosophie - ou de la science il n'est pas question en ce domaine de tolérer le faux, mais d'argumenter et de convaincre. [...]
[...] On peut s'en tenir à l'idée que fondamentale est la question, en tant qu'elle pose le problème de la liberté de conscience (Montaigne, Essais, III, X et III, XIII; Spinoza, Traité Théologico-Politique, XX, de la stabilité de la république (Platon, République, VIII, 563ab; Locke, Lettre sur la tolérance), de l'usage de l'opinion publique (Bourdieu, Médiations pascaliennes), de la dignité de l'homme (Kant, Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique; Voltaire, Dictionnaire philosophique, article ‘Tolérance', page 362 sq.), du respect des droits de l'homme (Montesquieu, De l'esprit des lois, XXV, 13) et de l'avenir de la démocratie (La tolérance démocratique fait le jeu des partis anti-démocratiques. Voyez la République de Weimar et le nazisme, la démocratie moderne et l'extrême droite . Aussi estil fort possible non seulement de signaler des limites à la tolérance, mais encore de spécifier des activités, théoriques ou juridiques, où elle se peut révéler extrêmement nocive. Développons-le avec Spinoza. [...]
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