Dans l'Antiquité, le maître était celui qui maintenait sous son autorité des esclaves qui travaillaient pour lui et lui permettaient ainsi de jouir d'une oisiveté qui lui donnait la possibilité de s'adonner à la politique ou à la philosophie. Mais aussi, on ne peut manquer de songer à la relation de Platon à son maître Socrate, lui ouvrant les voies de la vérité et de la liberté. Le maître peut donc être pris en mauvaise ou en bonne part selon qu'on l'envisage dans sa relation à l'esclave ou au disciple. Faut-il alors reconnaître quelqu'un comme son maître ? Etrange question ! Comme si le maître laissait le choix ! En apparence, la relation de maîtrise est unilatérale : l'un soumet ; l'autre est soumis et ainsi avoir un maître reviendrait à renoncer à sa liberté.
Est-il nécessaire et indispensable de poser comme conscience souveraine un être humain quelconque, d'accepter un sujet indéterminé en tant que personne ayant pouvoir et autorité sur soi et pouvant imposer sa volonté ? Ne serait-il pas nécessaire de reconnaître quelqu'un comme son maître parce que l'obéissance serait une école d'humanité et de liberté ? L'obéissance acceptée peut-elle nous faire accéder à notre essence spirituelle authentique ?
[...] Faut-il reconnaître quelqu'un comme son maître ? S'il n'y a de maître que par une reconnaissance libre, à l'inverse on ne voit pas comment une liberté pourrait s'asservir à un maître. Tout assujettissement des esprits ou des volontés détruit l'homme en son être essentiel. Cependant le rapport du maître au disciple dans la connaissance a remis en cause cette évidence. Nous ne pourrions accéder à une conscience de soi autonome que par la reconnaissance d'un maître qui nous amène à refouler nos instincts et à réaliser notre humanité. [...]
[...] Dans l'opuscule Réponse à la question : qu'est-ce que les Lumières Kant explique ainsi que tout homme doit, à partir du moment où il a atteint sa maturité physique et intellectuelle, faire usage de sa volonté et ainsi refuser de se soumettre à la raison d'un autre, quel qu'il soit: le mineur doit devenir majeur, il doit accéder à une pensée autonome et il ne peut le faire qu'à condition de s'affranchir des tuteurs qui le maintiennent dans un état de soumission et de dépendance. Il faut remarquer d'autre part que la reconnaissance apparaît d'ailleurs d'abord comme une nécessité pour le maître, avant d'être une question pour l'esclave. En effet, le maître n'existe d'abord que dans un rapport de force. L'esclavage et la tyrannie en fournissent des exemples : le maître qui réduit en esclavage ne demande pas aux esclaves leur consentement. Pourtant, au simple fait de maîtriser quelqu'un physiquement s'ajoute la capitulation par laquelle je reconnais que je suis maîtrisé. [...]
[...] Nul ne saurait donc reconnaître un maître à sa volonté. Pourtant, comme Kant le montre lui-même dans Réponse à la question: qu'est-ce que les Lumières?, l'être humain n'est pas d'abord pleinement libre: il doit être éduqué afin de cultiver sa liberté et cette éducation suppose qu'il se soumette d'abord aux contraintes, aux règles qu'un maître lui impose. Cette première reconnaissance n'est-elle pas alors nécessaire à l'affranchissement, à la réalisation d'une liberté authentique? Il apparaît ainsi, à la lumière de ses analyses, que si tout homme doit penser par lui-même et exercer librement sa volonté, car sans cela la liberté ne serait qu'apparente, il ne peut accéder à la liberté de pensée que grâce à un initiateur qui le guide vers la vérité. [...]
[...] Cette dualité est l'indice d'un asservissement intérieur. Ainsi dans Réponse à la question: qu'est-ce que les Lumières?, Kant montre que le véritable éducateur, le majeur, est celui qui mène le mineur vers la majorité, une liberté authentique, qui l'aide à se relever quand il tombe: si l'être humain est d'abord un enfant, un maître est nécessaire pour qu'il accède à la l'autonomie en surmontant paresse et lâcheté et pour qu'il ne tombe pas sous l'autorité des tuteurs qui le maintient en état de servitude. [...]
[...] Toute tyrannie développe un discours par lequel elle entreprend de persuader l'esclave qu'il est juste qu'il en soit ainsi. C'est ainsi que Rousseau, dans le Contrat Social, montre la naissance du prétendu "droit du plus fort". Tout esclavage se double d'un asservissement des esprits infiniment plus perfide. Car alors l'esclave acquiesce à sa propre condition. Il reconnaît le maître, parce qu'il est esclave de sa propre ignorance. Etre libre, c'est donc refuser toute reconnaissance d'un maître qui asservit, d'autant qu'il n'est pas permis de renoncer à sa liberté. [...]
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