Cacher une liaison ou une aventure extra-conjugale afin de préserver le bonheur du couple constitue un procédé souvent mis en scène dans des films et peut correspondre à un choix envisagé dans la réalité. La réponse dépend de la primauté et du sens attribués au bonheur. Y a-t-il une loi objective, une nécessité d'intérêt, d'ordre psychologique ou naturel, qui fasse que chacun doive toujours préférer le bonheur à la vérité ? Existe-t-il une obligation morale exigeant que le bonheur se réalise ou se maintienne, y compris en dépit de la vérité, voire au prix du mensonge ? Ou doit-on au contraire supposer que l'un n'a aucune raison de s'imposer à l'autre ? Ou même que rien ne peut être supérieur en valeur à la vérité, à la sincérité, sans quoi le bonheur lui-même serait tronqué ? Nous verrons dans une première partie que les exigences du bonheur et de vérité sont a priori équivalentes pour l'homme, mais que la pression du bonheur peut être en réalité supérieure subjectivement, jusqu'à orienter le sens du terme « vérité ». Nous verrons ensuite l'exigence de préférer l'un à l'autre se pose en réalité en ces termes.
[...] À l'inverse, la philosophie sceptique, et en particulier Sextes Empiricus, propose de suspendre son jugement sur ce qui est bien ou mal par nature. Le bonheur sera alors possible, car on évitera la source d'un désagrément permanent. Ce point de vue pose problème cependant, car il revient à ne justement jamais afficher de préférence marquée envers une chose plutôt qu'une autre, envers une valeur au détriment d'une autre. Or le bonheur ne constitue-t-il pas une valeur ? Et dans ce cas, pourquoi le privilégier à la vérité ? [...]
[...] N'est- ce pas toujours la conception du bonheur qui prime sur celle de la vérité ? Si le bonheur est l'objectif ultime de tous nos désirs, il est aussi ce au nom de quoi s'établit une préférence. On préfère toujours ce que l'on juge meilleur, c'est-à-dire ce qui selon nous amène au plus grand bonheur. Or cela peut orienter notre jugement et nos actions, y compris en matière de vérité. Épicure montre ainsi que le plaisir sert de critère à la vie bienheureuse, du fait que la première source empirique de satisfaction a été le plaisir. [...]
[...] On accepte aussi l'idée qu'un médecin ou la famille puissent, dans certains cas, ne pas dire toute la vérité sur les conséquences éventuelles d'une maladie, à un enfant, à une personne très âgée, etc. Y a-t-il donc parfois nécessité, voire obligation morale, de ne pas être dans le vrai pour être heureux ? Faut-il même fabuler pour épargner des malheurs. II. La primauté du bonheur 1. Le bonheur irrépressible Dans les cas cités précédemment, on voit que la proclamation, ou non, de la vérité dépend d'une certaine conception du bonheur, entendu comme insouciance, ou comme absence de tracas, en elle-même sujette à caution. [...]
[...] À l'inverse, tout plaisir, tout désir, s'il est trop privilégié, est forcément empreint d'une certaine illusion sur ces valeurs. Envisager une préférence entre vérité et bonheur est donc inopportun, voire dangereux, car cela traduit l'idée que l'on peut, voire que l'on doit, être heureux au détriment du vrai et en méprisant la raison. Les stoïciens développent plutôt le choix inverse, s'il fallait en faire un, ce qui n'est justement pas le cas. Sans exigence de vérité, sans effort de lucidité, il n'est de toute façon pas de bonheur possible. [...]
[...] Il est un fait que les facultés intellectuelles de l'homme ne lui permettent pas d'obtenir la vérité absolue sur tout, que la vérité peut même être une vision intéressée des choses, mais cela reste un fait naturel, non un devoir. Le devoir serait plutôt de donner toute place possible à l'exercice du jugement. Peut-on cependant être heureux si l'on est seul à procéder ainsi, comme en témoigne la fin tragique de Socrate ? Et le bonheur n'est- il pas aussi un idéal jamais atteint parfaitement ? [...]
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