Le passé peut sembler « pesant » : c'est le cas lorsque, ayant mal agi, un sujet subit le remord. Si celui-ci devient obsédant, et si l'individu demeure incapable de s'en débarrasser par une conduite qui soulage sa conscience, ne peut-il, comme Judas, être poussé au suicide ? Une telle issue supprime évidemment tout avenir : ce qui a été fait ôte en quelque sorte d'avance toute signification à la poursuite de l'existence.
Par nature, le passé, s'il reste, sous une forme ou sous une autre, trop présent, risque-t-il d'empêcher la considération de l'avenir ? Il est alors tentant d'admettre que le plus simple, pour que l'avenir ait bien lieu, serait de pratiquer l'oubli du passé. Cependant, un passé oublié, outre qu'il prive le présent, et sans doute l'avenir du même coup, d'expérience et de repères, ne disparaît pas intégralement : il peut rester actif, c'est-à-dire pathogène; au lieu d'ouvrir sur l'avenir, son absence bloque le sujet dans la répétition et dans un présent lui-même déséquilibré.
[...] Freud a montré que certains oublis sont provoqués par des pulsions inconscientes : j'en suis aussi bien l'auteur que la victime. Ces oublis seraient significatifs : j'oublie ce dont le rappel serait perturbant, mais ce n'est pas ma conscience qui en est responsable, même si elle en tire profit. La censure exercée sur certains faits de mon passé préserve mon équilibre psychique, mais ma volonté n'intervient pas pour assurer ce dernier : les phénomènes se déroulent en quelque sorte malgré moi, ou indépendamment de mon moi conscient. [...]
[...] Ce que Nietzsche nommait le roc : ce fut freinerait ainsi mes initiatives et me rendrait incapable d'agir pour préparer mon avenir. II- Conséquences de l'oubli du passé : L'oubli ne se commande pas : Si l'on admet en conséquence qu'oublier le passé, c'est se préparer à mieux vivre le présent et l'avenir, on doit admettre complémentairement que l'oubli peut être volontaire ou effectué sur commande. Or, les choses ne semblent pas si simples : il m'arrive d'oublier, mais il m'arrive aussi de le regretter. [...]
[...] Le je n'aurais pas dû fait périodiquement retour dans la conscience, vient troubler les pensées quotidiennes, empêche de dormir. Dans ce cas, il est clair que l'oubli serait, s'il était possible, bienvenu : la conscience se sentirait délivrée de ce qui l'ensemble, elle pourrait enfin passer à autre chose Même un passé positif peut être encombrant : Il semble d'abord moins vraisemblable de vouloir oublier les moments heureux du passé. Pourtant, le souvenir d'un bonheur vécu peut devenir encombrant, s'il paraît difficile à revivre ou impossible à surpasser. [...]
[...] La conversion libère du passé sans l'oublier : Cette suite peut contredire le passé, ou l'utiliser comme repoussoir. C'est bien ce qui a lieu dans la conversion, qui n'est possible qu'à la condition d'une modification radicale des choix du sujet, c'est-à- dire, comme le rappelle Kant lorsqu'il admire la version chrétienne de la conversion, de l'exercice de sa liberté. Renoncer au mal passé et choisir le bien pour l'avenir n'est en rien oublier le passé : c'est au contraire en tenir compte et le juger pour ne pas le répéter. [...]
[...] Considérer que le passé doit être oublié, ce serait substituer, à la disponibilité propre au pour-soi, toujours susceptible de transformer le sens du passé, sa chosification par un passé strictement déterminant. Admettre que le passé doit être oublié pour que s'ouvre réellement l'avenir, c'est considérer que le passé opère une détermination rigoureuse de ce qui est ou de ce qui peut être. Ce qui suppose que le sujet subissant ce passé est incapable d'en modifier la signification ou la pesanteur par son projet, et qu'il ne bénéficie en réalité d'aucune liberté. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture