On associe fréquemment « l'amour de soi » au vice décrié qu'est l'égoïsme, à l'amour passionné, exagéré de soi et « qui porte l'homme à ne rien rapporter qu'à lui seul et à se préférer à tout » disait Alexis de Tocqueville. Pour Jean-Jacques Rousseau, au contraire, l'amour de soi est le « sentiment naturel portant tout animal à veiller à sa propre conservation, et qui, dirigé dans l'homme par la raison et modifié par la pitié, produit l'humanité et la vertu».
Cette ambivalence est fondée sur « deux passions très différentes par leur nature et par leurs effets », dit Rousseau, mais qui sont proches de tournure. Il s'agit de l'amour-propre d'une part, et de l'amour de soi d'autre part. Le premier est qualifié par les termes que nous venons de citer de Rousseau et le second est « la source de tous nos dérèglements » d'après Abbadie et est « un sentiment relatif, factice et né dans la société, qui porte chaque individu à faire plus de cas de soi que de tout autre » d'après Rousseau.
À première vue, nous venons donc de distinguer un sentiment naturel d'un vice. Or, la question de savoir s'il faut condamner l'amour de soi, rejoint celle de déterminer si ce sentiment, qui est naturel, est légitime et s'il est nécessaire, au sens d'une nécessité pragmatique, c'est-à-dire si l'amour de soi permet de comprendre la réalité telle qu'elle est. En d'autres termes, condamner l'amour de soi n'est-il pas contradictoire à l'ordre de la nature et aux rapports de l'homme au monde qui l'entoure ?
[...] Ici, l'ordre est bien entendu celui que Dieu a voulu comme tel. Rousseau légitime donc l'ordre naturel des choses, qui sont tel que Dieu les a voulues. De sorte que l'amour de soi est encore à l'origine de la tendance naturelle de l'homme à la satisfaction de ses besoins et de ses désirs qui est doublée d'une aversion spontanée à ne pas faire souffrir son semblable : C'est pour ne pas souffrir que je ne veux pas qu'il souffre ; je m'intéresse à lui pour l'amour de moi Enfin, l'homme est naturellement perfectible, principe qui le différencie d'ailleurs de l'animal, c'est-à-dire qu'il est un être capable de devenir, de se transformer en bien ou en mal. [...]
[...] Kant nous invite donc à appréhender la volonté bonne comme principe de l'action morale : une volonté bonne et raisonnable. Pour lui, la volonté bonne est à admettre comme seul principe répondant aux exigences de la moralité et qui est rationnellement acceptable : une volonté appuyée par la raison. Il s'oppose en ce sens à Rousseau et qualifie indirectement les passions primitives que ce dernier défend, comme l'instinct Un instinct naturel qui permet aux animaux d'assurer leur conservation et de se développer. [...]
[...] Ici, la loi morale s'oppose au terme de maxime en ce sens qu'une maxime est un principe pratique tandis que la loi morale est une règle normative qui fait figure d'autorité universelle aux yeux de la volonté d'un sujet raisonnable. Cette prudence peut être interprétée comme libre détermination du sujet, or, cela ne va pas du tout de soi, pour Kant, d'établir le bonheur personnel comme principe déterminant la volonté. Au contraire, on l'a bien vu, se fonder sur l'idée de bonheur reviendrait à anéantir l'idée de moralité. A cela, Montesquieu ajoute sa vision : Si je savais quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. [...]
[...] En d'autres termes, condamner l'amour de soi n'est-il pas contradictoire à l'ordre de la nature et aux rapports de l'homme au monde qui l'entoure ? Pour autant, l'amour de soi peut être dangereux, comme le suggèrent Hobbes et la nature humaine, baignant dans sa spontanéité et sa sensiblerie n'est peut-être pas morale. Kant nous exhorte d'ailleurs à ne pas confondre prudence et moralité : s'aimer est une chose, le vouloir en est une autre. Pascal et St. Augustin le condamnent, réservant à Dieu le privilège d'être aimé. [...]
[...] Cela ne signifie pas pour autant que l'amour de soi n'a pas de limites, en ce qu'il ne répond peut-être pas aux exigences morales. Après avoir donné la parole aux partisans de l'amour de soi, il est temps d'écouter les détracteurs de celui-ci afin d'enrichir notre analyse grâce à un angle d'approche différent pour pouvoir répondre à la question de savoir s'il faut condamner l'amour de soi. Thomas Hobbes, grâce à son Léviathan, paru en 1651 est l'un des premiers à avoir imaginé l'idée d'une nature préexistante. [...]
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