Faudrait-il renoncer à toute passion pour être libre ?

Résumé du document

Phèdre, dans la tragédie de Racine, est consumée par la passion, qui est dépeinte comme une maladie de l'âme et du corps. Une maladie mortelle, à coup sûr, dont les symptômes sont décrits avec précision à plusieurs reprises. Les philosophes antiques, en particulier les stoïciens comme Sénèque, considéraient également les passions comme des maladies.

La passion est un mouvement de la conscience qui fait exposer un objet comme la promesse d'une satisfaction complète et durable ou comme la menace de douleur, de souffrances, de malheur. Par cette promesse, la passion dirige nos pensées et nous empêche d'agir par nous-mêmes. Cependant, renoncer à toute passion est difficile, et l'équivalence entre absence de contraintes imposées par la passion et liberté n'est pas assurée. Faudrait-il renoncer à toute passion pour être libre ? Les passions occupent une place importante dans l'esprit de l'homme, et ont des conséquences métaphysiques. Notre rapport avec elles en fait une réflexion morale.

Extraits

[...] La passion peut donc s'opposer à la raison. Le passionné qui se trouve face à une situation mettant en jeu l'objet de sa passion est incapable d'analyser objectivement cette situation et de l'affronter raisonnablement. Par exemple, le protagoniste, dans Roméo et Juliette de William Shakespeare, brave les interdits sociaux, les avertissements de sa famille, pour aller retrouver l'objet de ses désirs, Juliette, et finit par se donner la mort à cause de cet amour impossible. Sa passion le soumet à une addiction devenue célèbre, et surtout le conduit à une souffrance finale immense, et à la mort. [...]

[...] Faudrait-il renoncer à toute passion pour être libre ? Phèdre, dans la tragédie de Racine, est consumée par la passion, qui est dépeinte comme une maladie de l'âme et du corps. Une maladie mortelle, à coup sûr, dont les symptômes sont décrits avec précision à plusieurs reprises. Les philosophes antiques, en particulier les stoïciens comme Sénèque, considéraient également les passions comme des maladies. Phèdre compare d'ailleurs cet amour à un poison (vers 676). Le moyen qu'elle choisit pour mourir, "un poison que Médée apporta dans Athènes", revêt donc une grande importance symbolique : c'est le venin, image de la passion, qui la tue. [...]

[...] Cependant, leurs effets peuvent être néfastes si l'on ne les maîtrise pas. Comment concilier la maîtrise de soi, l'obéissance à la loi morale, l'autonomie comme obéissance à la loi qu'on s'est prescrite, et l'égoïsme, la violence qui accompagne souvent la passion ? Exiger un renoncement total aux passions, comme l'amour par exemple, est un leurre. Nous croyons qu'en nous persuadant que les passions sont mauvaises, nous finirons par nous en détourner et les oublier. Nous nous donnons ainsi l'illusion de la liberté. [...]

[...] Tout d'abord, d'après Darwin, la passion est un produit de l'évolution des êtres vivants : il suggère que l'émotion et l'expression qui l'accompagne constituent une espèce d'alphabet réactionnel face à des situations données. La passion est un produit efficace de la survie. La passion servirait à nous préserver du monde, d'augmenter notre chance de survie par la rapidité des réactions qu'elle suscite. Les passions peuvent donc être un auxiliaire de l'action. Qu'il s'agisse de l'amour ou de la haine, la passion nous aide à agir dans un but. Chacun est autonome, et la passion est une source d'énergie qui polarise toute l'activité du sujet vers un but. [...]

[...] Les passions sont en effet un auxiliaire de l'action, elles nous permettent d'agir, de tendre vers la perfection et sont donc un facteur de liberté. Elles nous détournent de nous-mêmes au profit d'autres objets, et évitent donc le narcissisme. Cependant, les passions peuvent être dévorantes, et il nous faut les maîtriser, grâce à notre raison, pour mieux nous en servir, et nous orienter. Plutôt que le seul bonheur sensible, atteindre la sensibilité mesurée nous permet de nous libérer de l'emprise trop forte des passions à l'état brut et ainsi de nous élever et d'atteindre le bonheur. [...]