Dans le quotidien, je suis entouré de faits : le soleil se lève chaque jour ; Lewis Carroll est l'auteur d'Alice aux pays des merveilles, ainsi que de photographies de petites filles ; mon père est plus petit que moi... De tels faits sont dotés d'une telle évidence qu'ils semblent "parler d'eux-mêmes" et m'apporter des vérités. Ce n'est pourtant pas le cas du premier. Faut-il admettre que ce que paraît montrer un fait peut être trompeur et qu'il ne suffit pas pour élaborer une connaissance ? Dans ce cas, sur quel type de faits celle-ci se construit-elle ? Et comment la raison en tire-t-elle un enseignement ? (...)
[...] Du fait "Cet arbre a brûlé", il est évidement impossible de déduire que "Tous les arbres ont brûlé". Tout au plus cela confirme-t-il que le bois est inflammable, mais ce savoir ne peut pas davantage se séduire de la combustion de "cet arbre", qui pourrait n'être qu'une exception, et rien ne m'autorise à universaliser à toute une espèce ce que je constate à propos d'un spécimen. Je courrais le même risque d'erreur que l'Anglais qui, débarquant à Calais, croise en premier une Française rousse et en déduit hardiment que "Toutes les Française sont rousses". [...]
[...] Enfin, le fait scientifique ne restitue pas le fait empirique. Lorsque Galilée considère que les mathématiques sont le langage de la nature, il désigne l'existence de relations qui n'apparaissent pas de manière sensible. Les faits scientifiques, parce qu'ils sont élaborés par des protocoles expérimentaux, s'éloignent des faits empiriquement perçus. Ce qui est déjà vérifiable à propos d'une loi classique ne fait qu'empirer avec le développement des connaissances scientifiques: les faits dont se préoccupe aujourd'hui la physique ou la chimie n'ont plus rien de commun avec notre relation empirique au monde. [...]
[...] Tout d'abord, le fait scientifique n'est jamais isolé. On doit donc admettre que, dans l'élaboration de la connaissance, aucun fait ne peut être considéré comme isolé: il serait insignifiant. Le fait scientifique est en réalité pris dans un réseau théorique, tant dans sa préparation (le protocole expérimental) que dans son observation (ou interviennent les instruments de mesure qui "matérialisent" eux-mêmes des théories) et dans la signification qu'il aura pour le scientifique. Aussi t-on pu souligner l'incapacité qui serait celle d'un esprit non prévenu dans un laboratoire; il ne saurait même pas quel fait il doit prendre en considération, et s'il tombait dessus par hasard, il ne pourrait le lier, ni à la recherche qui l'a suscité, ni aux enseignements que l'on espère en obtenir. [...]
[...] Le fait quotidien implique ainsi une relation entre deux "objets". Par contre, "arbre" n'est pas un fait: ce n'est qu'une idée, qu'il faudra éventuellement particulariser pour désigner "cet arbre". Mais ce dernier n'est pas davantage un fait: il est tout au plus un objet singulier (à moins qu'il ne soit seulement évoqué dans un texte) et ne devient un fait que si, le montrant à quelqu'un, j'insiste sur son existence (le désigner, c'est remplacer des expressions comme "Cet arbre existe" ou "Cet arbre est présent"). [...]
[...] Mais en quoi consistent ces derniers? Il ne peut d'abord s'agit de la totalité de ce qui a eu lieu au cours d'une période étudiée. D'une part, parce que certains événements ont totalement disparu, faute de documents ou de traces, et, d'autre part, parce que toute étude historique est obligée d'opérer une sélection dans l'ensemble des événements, si l'on entend par cette expression la multiplicité innombrable de ce qui s'est produit, au jour le jour (et pourquoi pas de minute en minute?), pour l'ensemble d'une population. [...]
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