La violence paraît toujours irrationnelle : même si l'on cerne ce qui détermine son déchaînement, qu'il s'agisse d'une colère individuelle ou d'un conflit armé, ses causes immédiates semblent incapables de la fonder rationnellement. Il est au contraire traditionnel de considérer que le langage donne à l'homme une chance majeure d'accéder à une conduite rationnelle, parce qu'il est synonyme de partage et d'échange d'arguments. On pourrait en conséquence admettre que l'usage du langage signale au moins une suspension de a violence. Mais, d'un autre côté, le langage n'est pas étranger aux situations où s'exerce un pouvoir; or ce dernier se caractérise par la possibilité de la violence légale.
Faut-il alors penser que le langage se contente de substituer une violence symbolique à une violence ouverte ?
[...] Dans le dialogue, on échange des arguments, et non des coups. Même s'il y a finalement un gagnant et un perdant, c'est la raison qui l'emporte. La discussion la plus banale reproduit le même effet pacificateur: c'est parce qu'elle échoue que l'on en vient aux mains. Lorsqu'un parent frappe un enfant, c'est parce qu'il ne parvient pas (pour des raisons multiples) à se faire obéir par la seule puissance de ses mots. La violence ouverte collective ne s'achève-t-elle pas par du langage? [...]
[...] Le langage est un domaine culturel qui participe à cette ritualisation. C'est pourquoi il intervient dans l'organisation sociale (par la récitation des mythes fondateurs, les formules qui préparent les sacrifices, les salutations et les formes de politesse, etc.) Ensuite, l'homme violent ne parle pas. L'individu livré à la violence physique est en dehors du langage articulé: au mieux, il crie ou hurle pour accompagner ses gestes. Mais l'acte violent peut être redoublé par de la parole, pour le rappeler et confirmer sa signification. [...]
[...] Le langage peut aussi annoncer le déchaînement de la violence (on prévient celui que l'on veut torturer de ce qu'il va subir). Enfin, les relations sont donc plus subtiles qu'un simple renoncement. La violence peut apparaître comme une parenthèse dans le langage. C'est le cas lorsque le langage prépare la violence (pendant que le pouvoir, individuel ou d'État, se donne par ailleurs les moyens de l'exercer), et vient ultérieurement en sanctionner les résultats. Mais le langage peut aussi être une parenthèse dans la violence: c'est la situation des conflits longs, plus ou moins larvés, qui peuvent ne pas trouver de solution à moyen terme (conflit entre l'Israël et la Palestine par exemple). [...]
[...] S'il n'y avait pas d'autre usage du langage que philosophique, on pourrit sans doute admettre que le langage signale un renoncement à la violence, pour ouvrir l'espace du dialogue pacifié. Mais le langage est en réalité lié aux diverses formes du pouvoir, tant celui que l'on possède que celui que l'on revendique. Aussi n'est-il pas surprenant qu'il apparaisse, au même titre que la politique selon Claudewitz, comme la "continuation de la guerre par d'autres moyens". Et "continuation" ne signifie pas ici hétérogénéité, tant le langage peut aussi bien préparer la violence qu'en proposer des substituts qui, pour être symboliques, n'en sont pas moins efficaces. [...]
[...] Faire usage du langage, est-ce renoncer à la violence? La violence paraît toujours irrationnelle: même si l'on cerne ce qui détermine son déchaînement, qu'il s'agisse d'une colère individuelle ou d'un conflit armé, ses causes immédiates semblent incapables de la fonder rationnellement. Il est au contraire traditionnel de considérer que le langage donne à l'homme une chance majeure d'accéder à une conduite rationnelle, parce qu'il est synonyme de partage et d'échange d'arguments. On pourrait en conséquence admettre que l'usage du langage signale au moins une suspension de la violence. [...]
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