Telle une loupe négligeant l'ensemble au profit des détails, le face à face confère aux adversaires un éclat particulier, aux vainqueurs un prestige accru. C'est que, doublement exposé au regard de ses compagnons, de ses ennemis, le héros peut faillir à sa réputation, s'attirant alors les reproches des siens. Fragilisé dans cette exposition de soi qui dévoile ses faiblesses tant physiques que morales, chacun des protagonistes doit faire preuve d'exceptionnelles qualités inhérentes au combat rapproché, et nécessaires à la victoire. De ce fait, cette confrontation intensifie le caractère redoutable du surgissement de l'autre. Le face à face oblige alors à regarder, en son adversaire, la mort à venir. Une mort qui a le visage et le nom du vainqueur (...)
[...] Le brave, au contraire, combat de pied ferme, soit qu'il frappe, soit qu'il soit frappé 409-410). Faire face ou sortir des rangs, se défaire de la protection de ses compagnons d'armes, s'avancer vers l'autre, c'est, dans cette revendication assumée, cette exposition voulue, courir le beau pari d'en obtenir un prestige supplémentaire. En effet, le combat rapproché ne comporte aucune échappatoire. Bien connue des héros est l'alternative suivante : donner la mort ou la recevoir. En s'éloignant de la solidarité, c'est rejeter l'assurance sur la vie qu'elle procure. [...]
[...] Abandonné, le cadavre mutilé anonyme rejoint la cohorte de ceux qui tombent indistinctement dans la mêlée. Dès lors, vive est la lutte autour de l'homme tombé afin d'empêcher le vainqueur d'accomplir de telles fins. En ramenant le mort parmi les siens, ses compagnons réussissent à préserver sa dignité et la leur. Ils privent aussi l'ennemi de la possibilité de s'emparer des armes, voire de les porter, suprême victoire, suprême défaite. Revêtu des armes d'Achille arrachées au cadavre de Patrocle, Hector devient son semblable (XVII, 213-216). [...]
[...] Le trait d'un lâche est aussi vil que lui 382-389). Au sein de la foule, Pâris n'affronte aucun véritable danger. Il a pour lui la sécurité conférée par tout l'espace que peut parcourir sa flèche, sans craindre les représailles immédiates en retour. Et à Hector abandonnant le cadavre de Patrocle en voyant surgir Ajax, Glaucos reproche également de n'avoir qu'un courage de façade tu as l'aspect du plus brave des hommes, mais tu n'es pas tel dans le combat, et tu ne mérites point ta gloire, car tu ne sais que fuir (XVII, 143-144). [...]
[...] Il s'agit aussi bien d'effrayer l'adversaire que de se glorifier devant lui ou ses compagnons. D'ailleurs, nul ne saurait s'approprier abusivement la blessure mortelle donnée par un autre. Patrocle avant d'expirer, et bien qu'il ait été frappé dans le dos, connaît son meurtrier et le rappelle à Hector : C'est, parmi les hommes, Euphorbe qui me tue, mais toi, tu n'es venu que le dernier (XVI, 850). Mais Euphorbe ne peut guère s'en attribuer la gloire, lui qui s'est approché de Patrocle par derrière. [...]
[...] L'affrontement A l'instant du face à face, plus rares sont les situations où les héros s'apostrophent avant le combat. Car, réservées à l'agora où le long temps des discussions et des débats les permet et même les exige, les paroles n'ont guère leur place dans cette situation où la promptitude d'action est seule requise. Ainsi doit-on comprendre le reproche fait par le fils de Ménoitios à Mérionès : il ne s'agit point ici de parler mais de combattre (XVI, 632). [...]
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