Quelle est l'origine de la langue ? est-elle dans le besoin? se demande Rousseau dans cet extrait de son Essai sur l'origine des langues. Comment les hommes passèrent –ils d'un mode de communication animal à l'utilisation d'une langue, et quelle est l'origine de ce changement ? La réponse de Rousseau passe d'abord par la réfutation de l'idée reçue qui veut que le langage ait son origine dans les besoins primaires de l'homme, avant d'être la démonstration d'une origine basée sur les passions de l'homme.
Après avoir postulé que le « senti » préside à la raison, Rousseau s'attache à démontrer l'invalidité d'une thèse adverse selon laquelle le besoin serait à l'origine de la parole au moyen d'une démonstration par l'absurde : après avoir présenté la thèse, il pointe l'élément qui rend cette thèse insoutenable. Le fait que le genre humain ne soit pas « entassé dans un coin du monde » prouve une séparation précoce des hommes, séparation qui serait due au besoin. La langue étant un moyen de rapprocher les hommes, Rousseau conclut à l'absurdité de la thèse adverse, qui voudrait donc « que de la cause qui (…) écarte [les hommes] vint le moyen qui les unit ». Il peut alors commencer à exposer sa propre conception de l'origine du langage. Pour lui cette origine vient des passions, ce qu'il illustre par des exemples qui d'abord, donnent un contenu aux deux concepts de passion et de besoin, puis illustrent sa thèse par la mise en place des situations concrètes. Il en déduit que les premières langues étaient directement issues des passions, et qu'elles furent dictées à l'homme par la nature. Mais peut-on qualifier de langue ce que dicte la nature pour exprimer les passions ?
[...] Explication d'un texte de Rousseau, extrait de L'essai sur l'origine des langues Cela dut être. On ne commença pas par raisonner mais par sentir. On prétend que les hommes inventèrent la parole pour exprimer leurs besoins ; cette opinion me paraît insoutenable. L'effet naturel des premiers besoins fut d'écarter les hommes et non de les rapprocher. Il le fallait ainsi pour que l'espèce vint à s'étendre et que la terre se peuplât promptement, sans quoi le genre humain se fût entassé dans un coin du monde, et tout le reste fût demeuré désert. [...]
[...] Il la qualifie ensuite d'absurde, et nomme ainsi le raisonnement par lequel il a démontré son invalidité, opposant le besoin, c'est-à-dire la cause qui écarte les hommes, au langage, le moyen qui les unit et souligne que du premier ne peut venir la seconde. Ayant achevé de réfuter la thèse adverse, Rousseau pose clairement le problème qui l'occupe : D'où peut donc venir cette origine ? Quelle est l'origine du langage ? Problème auquel répond Rousseau aussitôt, en une phrase nominale qui met particulièrement en valeur la thèse de l'auteur. [...]
[...] Il précise d'abord ce qu'il entend par besoin et passion en leur donnant des exemples de contenu. La faim et la soif pour le besoin, l'amour, la haine, la pitié, la colère pour les passions, critiquant toujours la validité du premier et affirmant la capacité de la seconde pour arracher à l'homme ses premières voix Rousseau met ensuite en situation ces besoins et leur résolution, montrant qu'il n'est nécessaire de parler ni pour cueillir ni pour chasser ni pour manger. [...]
[...] En tirant la thèse de Rousseau on peut voir apparaître une parenté avec le mythe de la tour de Babel. Cette thèse traditionnelle est remise en cause par les linguistes à partir de la fin du XIXe siècle, au premier rang desquels Saussure affirme les signes linguistiques sont immotivés. Pas de rapport donc entre le signifiant et le signifié. Il soutient que le signe linguistique est arbitraire et ne tient qu'à la convention. Cela remet totalement en cause l'hypothèse de langues, mêmes lointaines, dans lesquelles les sons correspondraient aux choses et auraient été inventés et déterminés par elles, auraient été dictés par la nature. [...]
[...] Ce n'est ni la fin ni la soif, mais l'amour, la haine, la pitié, la colère, qui leur ont arraché leurs premières voix. Les fruits ne se dérobent point à nos mains, ont peut s'en nourrir sans parler ; on poursuit en silence la proie dont on veut se repaître ; mais pour émouvoir un jeune cœur, pour repousser un agresseur injuste, la nature dicte des accents, des cris, des plaintes : voilà les anciens mots inventés, et voilà pourquoi les premières langues furent chantantes et passionnées avant d'être simples et méthodiques. Quelle est l'origine de la langue ? [...]
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