Cette question met en jeu la finalité de l'existence humaine, l'orientation qu'il convient de donner à ses pensées et ses actions afin d'accomplir au mieux cette existence. Mais que peut bien signifier « accomplir au mieux son existence » lorsqu'on a conscience de devoir mourir un jour ? Selon Heidegger, l'horizon permanent de la mort qui imprègne tous les moments de notre existence, que cet horizon soit ou non explicitement présent à notre conscience, représente ce qu'il appelle notre possibilité la plus propre, absolue et indépassable, celle de l'impossibilité de tout comportement de notre part (...)
[...] C'est ainsi que selon Kant, la morale n'est pas la doctrine qui nous enseigne comment nous devons nous rendre heureux, mais comment nous devons nous rendre digne d'être heureux, c'est-à-dire respectueux de la loi morale. Or, à l'échelle d'une vie, on ne peut, dit Kant, espérer un perfectionnement moral que très restreint. Dans ces conditions, même si l'on ne peut avoir aucune certitude théorique sur l'existence d'une vie après la mort, d'un point de vue pratique, c'est-à-dire moral, on doit postuler l'immortalité de notre âme pour fonder l'espérance d'un progrès indéfini sur la voie de la moralité. [...]
[...] Le mythe d'Aristophane exposé par Platon dans Banquet suggère une vision analogue. A l'origine, l'humanité était composée d'êtres supérieurs physiquement et intellectuellement qui décidèrent de renverser les Dieux. En guise de châtiment, chaque être humain, possédant en double tous les attributs actuels, fut coupé en deux. Désormais, chaque moitié aspira à retrouver son complément pour reconstituer l'unité perdue. Et c'est alors que Platon distingue deux étapes: dans un premier temps, chaque fois qu'une «moitié retrouvait son complément, elle se laissait mourir, par inaction et extinction de tout désir; dans un second temps au contraire, grâce à l'invention par les Dieux de la sexualité pour ne pas laisser l'humanité périr, l'union de deux moitiés engendrait vie, travail et création. [...]
[...] Elle est plus essentiellement ce qui nous fait saisir toute possibilité de vie comme contingente, c'est-à-dire comme ce qui pourrait ne pas être à chaque instant. Finalement, en admettant que l'existence humaine est fondamentalement orientée par la perspective de la mort, que ce soit sur un plan psychologique ou ontologique, il semble que l'on puisse toutefois faire le choix d'accepter ou de refuser volontairement cette perspective. Mais faire de cette résolution une règle d'action, sur un plan moral donc, peut engendrer des effets aussi bien positifs que négatifs. [...]
[...] Jusque dans la maladie grave, nous continuons souvent à penser jusqu'au bout la mort comme un phénomène extérieur à nous. Et si pourtant on réalise soudain son caractère imminent, on prend peur devant la mort, mais cette peur ne fait qu'exprimer négativement la même chose que sa banalisation, à savoir une fuite devant ce qu'elle peut signifier au-delà d'un événement brutal qui termine interrompt une vie, dérange le cours naturel des choses. La mort est donc vue comme un accident, dans les deux sens du terme d'une part quelque chose qui survient à l'improviste, mais dans un avenir indéterminé (et donc qui ne peut pas impressionner fortement notre imagination), et dérange le travail, l'organisation de son existence, la famille, ses intérêts ; d'autre part donc quelque chose de non essentiel, quelque chose qui ne s'intègre pas dans l'ordre social, ou plutôt qui s'y intègre si bien qu'elle ne se remarque plus, qu'elle est recouverte par toutes les institutions qui persistent audelà de la mort des individus. [...]
[...] Or, échoir dans le monde, c'est pour Heidegger déchoir de son être le plus propre, c'est se saisir comme une nature qui se rapporte à d'autres natures, qui s'accomplit dans le rapport à certains objets, dits naturels. Mais précisément, le propre de l'existence humaine est qu'elle n'est pas la réalisation, l'expression d'une nature préalable, définissable. Sartre dira plus tard que notre existence précède notre essence. Ce qui signifie que ce qui caractérise essentiellement l'être de l'être humain (le Dasein, dit Heidegger), c'est la liberté de se choisir et de se saisir lui-même. [...]
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