Prenant en compte l'idée selon laquelle l'éthique doit avant tout être un moyen de répondre à une situation existante, un grand nombre de théoriciens contemporains ont cherché à donner une part essentielle à la question des conséquences, bien souvent dramatiques, de l'agir humain. Ils ont ainsi développé une "éthique de la responsabilité". Hans Jonas, dans les années 1980 a en ce sens déclenché un débat important de la philosophie pratique en modifiant l'impératif kantien de manière à prendre en compte la situation des générations à venir. Mais ne remet-il pas ainsi le projet kantien d'une éthique universelle en compte, et de la sorte la possibilité même de justice ? Karl-Otto Apel notamment tentera de reprendre à son compte la responsabilité de l'éthique face à la transformation de l'agir de l'homme, de telle sorte qu'elle ne menace pas son exigence d'universalité. Ce problème sera aussi abordé sous l'angle de l'"éthique appliquée".
[...] Une éthique de la responsabilité qui revient sur ces exigences est inenvisageable. Mais la critique d'Apel va encore plus loin. En reprenant un argument de Hayek, Apel constate qu'effectuer une cure d'amaigrissement de l'humanité avec pour objectif la survie de l'homme, serait conciliable avec les thèses de Jonas. Ce qu'Apel appelle une solution social- darwiniste ne serait en revanche pas conciliable avec une éthique universaliste au sens où l'entend Kant, autrement dit avec l'idée régulatrice d'une réalisation de la justice à l'échelle planétaire L'opposition entre les exigences de responsabilité et de justice est à son comble lorsqu'on considère la justice en fonction de l'idée régulatrice de progrès, c'est-à-dire lorsqu'on considère le principe d'universalisation en termes d'humanité Il est indispensable pour Apel de considérer le progrès de l'humanité comme une tâche éthique primordiale parallèlement au développement de la responsabilité. [...]
[...] Jonas renonce en effet complètement à cette notion de progrès. Il déclare en ce sens : la question de savoir si une société socialiste ou individualiste, autoritaire ou libérale, serait meilleure pour l'homme, se transforme en la question secondaire de savoir laquelle de ces sociétés est la plus apte à venir à bout des situations futures autrement dit, la seule question que l'on doit poser aux différentes théories politiques est de savoir de quelle manière elles seraient capables d'assurer la conservation de l'homme. [...]
[...] La réflexion de Jonas se fonde tout d'abord sur le constat de la transformation de l'essence de l'agir de l'homme. Ce qui a longtemps été un simple accroissement est aujourd'hui un changement radical (qui entraîne un bouleversement du rapport de l'homme à la nature). Une des caractéristiques de cette transformation est fondée sur l'écart entre le pouvoir causal de l'agir de l'homme et le savoir provisionnel relatif à ce pouvoir. L'homme ne sait plus, et ce notamment à long terme, quelles conséquences auront ses actions. [...]
[...] Il remet par la même en question le formalisme kantien, fondement de l'universalité possible dans le domaine pratique. De plus, cet impératif n'est pas destiné à l'homme dans ce qu'il a en commun son humanité avec tous les autres hommes, mais à l'homme d'Etat, sensé gérer la situation de crise contemporaine. La relation entre cet homme d'Etat et les hommes ordinaires, les citoyens si l'on peut encore dire, est de plus explicitement fondée sur le paradigme parent-enfant, relation qui met en exergue cette fois-ci des dangers politiques directs en matière d'égalité des droits, mais aussi en matière d'autonomie. [...]
[...] La dérive totalitaire dans sa version paternaliste n'est pas sans inquiéter les exigences, même minimales, d'un Etat de droit démocratique. Enfin, la théorie de la responsabilité jonassienne de la responsabilité est fondée métaphysiquement sur une conception finalisée de la nature (dont l'homme est partie intégrante). C'est en effet à la métaphysique que l'on doit demander pourquoi les hommes doivent exister au monde et c'est elle qui est de ce fait sensée nous dire quelle conception de la vie nous devons protéger, au moyen de l'impératif modifié. [...]
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