L'objet de ce travail part du mariage de deux hypothèses distinctes : d'une part, la thèse de Louis-Vincent Thomas selon laquelle « Toute société se voudrait immortelle et ce que l'on appelle culture n'est rien d'autre qu'un ensemble organisé de croyances et de rites, afin de mieux lutter contre le pouvoir dissolvant de la mort individuelle et collective»; d'autre part, la déclaration faite par Michel Vovelle en introduction de son article intitulé Le corps montré, le corps caché selon laquelle « (…) l'une des approches privilégiées du rapport des hommes à leur corps passe par le regard porté sur le cadavre.» Partant de ces deux affirmations, le propos de ce travail sera mettre en lumière, même partiellement, l'évolution de la perception du corps mort à travers l'évolution des techniques de représentation, de l'usage fait de celles-ci. La problématique traitée consistera à se demander quels sont les invariants et variations de la conception de la personne morte et de son corps dans la perspective des progrès techniques mis à la disposition de la présentation du ce dernier. Le champ d'étude sera ici limité à la société occidentale et s'axera autour de trois pôles de représentation se situant dans trois périodes historiques distinctes.
Nous nous intéresserons successivement aux gisants du Moyen Age, aux photographies de morts et enfin aux corps exposés à l'occasion de l'exposition Köperwelten. Nous analyserons pour chacun quelles furent les démarches entreprises par les artistes, les contextes culturels dans lesquels ceux-ci s'inscrivirent, l'image du défunt et du corps mort que ceux-ci désiraient donner ainsi que la perception qu'en eut le public et l'éventuel impact que ces oeuvres eurent sur les mentalités de chacune de ces époques. Nous tâcherons de recenser certains traits communs, variations essentielles et de détail tirés de ces observations.
L'objet du présent travail étant au final d'évaluer la perception qu'avaient les sociétés des différentes époques étudiées de la nature et du statut du corps humain, mort et vivant. En effet, la présente étude s'inscrit dans une certaine optique de l'histoire des mentalités, partant du postulat que les figures de la mort sont totalement contextualisées culturellement. En ce sens, nous rejoignons Michel Picard quand il affirme que l'histoire des "attitudes collectives devant la mort", ou l'histoire représentations collectives de la mort, des vécus thanatiques, des idéologies et rites funéraires « prend pour argent comptant l'idée que les représentations de la mort sont l'"expression de la société" (d'une classe, d'un groupe), le "reflet"de l'époque, l'"écho" d'une situation ou l'"ethos" d'une culture »
[...] L'objet d'étude Il ne s'agit pas ici d'étudier la représentation artistique du corps mort mais bien la restitution du corps réel par le biais des techniques de représentation utilisées par les artistes des différentes époques. Nous partons donc du postulat que l'objet d'étude ne relève pas de la conception fantasmagorique de la mort pour l'artiste mais bien de ce que ce dernier considère comme étant une reproduction à l'identique du corps mort tel qu'il le perçoit. Loin de la démarche des historiens de l'art, les objets de notre étude ne seront pas la démarche volontaire et consciente des artistes mais les représentations inconscientes du corps mort et de ses significations ayant mené à telle ou telle forme de production. [...]
[...] La problématique traitée consistera à se demander quels sont les invariants et variations de la conception de la personne morte et de son corps dans la perspective des progrès techniques mis à la disposition de la présentation du ce dernier. Le champ d'étude sera ici limité à la société occidentale et s'axera autour de trois pôles de représentation se situant dans trois périodes historiques distinctes. Nous nous intéresserons successivement aux gisants du Moyen Age, aux photographies de morts et enfin aux corps exposés à l'occasion de l'exposition Köperwelten. [...]
[...] C'est à l'âme du mort que fait appel le gisant et non à la mort elle-même[11]. Cette idée fait appel à la conception selon laquelle en mourant l'on revient un corps et que ce corps répugne : impureté dangereusement contagieuse, mal potentiel s'il ne consentait pas à quitter le monde des vivants Il faut se débarrasser du corps, ne reste de la personne que la représentation de celui-ci en majesté, reposant en paix (beati) tel qu'est le reflet de son âme. [...]
[...] Cette évolution montre la volonté croissante d'intégrer les corps morts dans le monde, les situations quotidiennes des vivants. Réaction liée à l'idée que la mort ne peut se fabriquer qu'à partir du refus - croissant dans nos sociétés - de la mort comme fin, et de la construction culturelle de ce refus qui suppose de convertir l'innommable ou le non-représentable en mouvement, en dynamisme qui porte jusque dans le dynamisme de la vie même, le sens de la relation à celui qui est mort[9]. [...]
[...] Ce n'est plus le rappel de la vie du défunt qui est ici exposé mais le moment de sa mort, la dernière image laissée par le mort à ses proches. Cette image est considérée comme étant la personne elle-même, la photographie constitue donc un moyen de prolonger l'existence du mort par le biais du maintien de la présence de son absence[7] rappelée par chaque vision de celle-ci. Le succès de ces photographies se comprend donc dans cette envie de faire perdurer la vie des êtres chers. La lutte contre la mort se fait plus concrète ici. [...]
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