De prime abord, une telle question appelle une réponse qui semble aller de soi : non, tant que l'on veut que la tolérance reste une vertu. Celui qui tolérerait le viol, la torture, l'assassinat, celui-là ne serait pas vertueux. Mais si la réponse ne peut être que négative, l'argument n'est pas sans poser des problèmes de définition, de limite et de domaine d'application.Ainsi, une telle question n'a pas de sens si elle est posée dans le domaine scientifique. Aucun scientifique – sérieux - ne demande que l'on tolère ses erreurs. Quand elles sont révélées par lui ou par d'autre, il admet s'être trompé, corrige son erreur ou argumente pour prouver qu'il avait bien raison, mais il ne tolérera pas son erreur, pas plus qu'elle ne sera tolérée par ses pairs. De même, le scientifique ne tolérerait pas qu'on lui dicte ce qu'il doit penser. En science, il n'y a pas d'autres contraintes que la vérité, l'expérience, la raison… La vérité « n'obéit pas » (Alain), elle est libre. Et la science ne progresse qu'en corrigeant ses erreurs passées. Le scientifique ne doit donc en aucun cas les tolérer, sauf à souhaiter la stagnation de sa discipline. Là où il y a connaissance, effort pour connaître, découvrir, la tolérance n'intervient pas. Le problème de la tolérance ne se pose donc que dans les questions d'opinion, de croyance, là où aucune connaissance réelle et empirique ne peut intervenir.
[...] La tolérance prend appui sur notre faiblesse intellectuelle, sur notre incapacité à atteindre l'absolu. Dans ses Essais, Montaigne écrit que c'est mettre ses certitudes à bien haut prix que d'en faire cuire un homme tout vif Et Voltaire, dans son Traité sur la tolérance, demande Qu'est-ce que la tolérance ? C'est le propre de l'humanité. Nous sommes pétris de faiblesses et d'erreurs. Pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c'est la première loi de nature L'homme n'atteignant pas la perfection, qui est-il pour juger ? [...]
[...] L'homme tolérant se maîtrise. Le paradoxe de la tolérance Il ne peut y avoir de tolérance dans l'indifférence. Tolérer la souffrance des autres n'a pas plus de sens que de tolérer l'injustice dont on n'est pas victime, car alors on sort du champ de la tolérance pour rentrer dans celui de l'indifférence, voire de l'égoïsme. Tolérer Mein Kampf, c'est se faire le complice de Hitler, au moins par omission, par abandon. Une attitude qui est semblable à la collaboration. Il peut s'agir d'une forme de tolérance, mais une tolérance qui manquerait singulièrement de vertu ! [...]
[...] Jean-Paul II parle de certitude réconfortante de la foi chrétienne Là où il n'y a pas d'incertitudes, il ne peut y avoir de tolérance. L'intolérance est donc dans la certitude de connaître le vrai et de l'imposer comme le bien. Déterminer l'intolérable La dangerosité d'une attitude doit déterminer qu'on ne la tolère pas. Faut-il ne pas tolérer les Eglises parce qu'elles croient détenir la vérité ? Non, car nous vivons en une heureuse époque et en un heureux pays où les Eglises ont cessé d'être dangereuses. [...]
[...] Dans Les Origines du totalitarisme, Hanna Arendt fait le point de manière définitive : Le sujet idéal du régime totalitaire n'est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais l'homme pour qui la distinction entre fait et fiction, entre vrai et faux, n'existe plus Le totalitarisme croit que la vérité va lui obéir, et confond son vrai avec le bien. Or, aucune science ne peut tenir lieu de morale. Si la biologie nazie avait été vraie, en quoi aurait-elle été moralement acceptable ? Le vrai et le bien sont à différencier clairement. Comment, dès lors, trouver le chemin de la tolérance s'il ne s'agit pas de renoncer au chemin de la vérité ? [...]
[...] Et s'il faut tolérer la Bible, pourquoi ne pas tolérer Mein Kampf ? Et si l'on tolère Mein Kampf comme on tolère la Bible, pourquoi ne pas tolérer le racisme, la torture et Auschwitz ? Il existe donc, on le voit, un type de tolérance moralement condamnable : la tolérance à l'égard de tous et de tout. Une tolérance universelle serait moralement condamnable, car c'est une tolérance qui oublierait les victimes, qui les abandonnerait à leur sort et laisserait se perpétuer leur martyr. [...]
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