Dans La Place royale, de Corneille, l'un des personnages principaux, nommé Alidor, profondément épris d'Angélique et aimé d'elle en retour, choisit pourtant contre toute attente et non sans tergiversations et déchirements intérieurs, de mettre un terme à sa relation. En effet, cet amour lui pèse manifestement, au point de devenir à ses yeux un véritable joug : aussi décide-t-il volontairement de sacrifier sa passion pour recouvrer une pleine et entière liberté. De fait les passions sont communément perçues comme des obstacles, des entraves plus ou moins gênantes à la liberté ; entendues comme des penchants subis par un sujet passif, elles s'opposent traditionnellement à la raison, elle-même fréquemment associée à la liberté psychologique dont elle constitue l'un des ressorts essentiels. Pourtant, il convient de se pencher plus attentivement sur les concepts de passion et de liberté qui semblent bien, a priori, s'entrechoquer. Faut-il combattre les passions pour être libre ? (...)
[...] * En effet, la question de la liberté et de ses liens, de sa compatibilité ou de son incompatibilité avec les passions se pose également avec acuité dans le domaine moral, notamment en termes d'autonomie. Ainsi, pour Descartes, la grandeur de l'homme découle en partie de notre libre- arbitre à savoir de notre capacité à choisir à notre guise, indépendamment des causes extérieures à nous-mêmes et de l'empire que nous avons sur lui (Les Passions de l'âme). De fait, l'homme, pour être libre, doit disposer pleinement de sa volonté et ne pas manquer, justement, de volonté pour accomplir ce qu'il considère être le meilleur, d'un point de vue moral : il lui faut pour cela combattre ses passions, être raisonnable et responsable de ses actes. [...]
[...] Aussi l'être autonome ne dépend-il que de lui-même, et semble être son propre maitre. En ce sens, pour être libre dans une dimension éthique, morale, l'homme doit lutter domestiquer, du moins ses passions et n'écouter que la voix de la raison, tant il est vrai que, pour Kant, l'homme libre doit se déterminer par lui-même et indépendamment de la contrainte exercée par des penchants sensibles (Critique de la raison pure d'autant plus la liberté est une propriété e la volonté de tous les êtres raisonnables (Fondements de la métaphysique des mœurs). [...]
[...] Il s'agit donc de détruire l'acropole intérieure que constitue la tyrannie, en nous, des choses : le corps, les passions diverses (la dépendance affective par exemple). De fait, la liberté réside dans l'acquiescement à la nécessité : est libre celui qui maitrise, sinon combat littéralement ses passions, qui change ses désirs plutôt que l'ordre du monde, ainsi que l'affirme en substance Descartes dans une perceptive toute stoïcienne. Passions, par définition subies (comme le révèle l'étymologie du terme : patio, je souffre) ; raison et au fond, liberté, s'avèrent par là-même inconciliables. [...]
[...] De fait, il semblerait que si les passions, en tant que force négative, néfaste, doivent être combattues, il faille nuancer ceci, dans la mesure où un simple effort de compréhension d'elles-mêmes serait déjà un premier pas vers la liberté. * Pour autant, reste que les passions peuvent être comprises comme une puissance positive, créative même. Dès lors, on ne devrait pas nécessairement les combattre pour être libre, c'est-à dire, ici, pour être pleinement soi-même, au-delà de l'indépendance et de l'autonomie en tant que telles. Maitrisées, comprises, canalisées, les passions deviennent en effet, en un sens, un support de la liberté. [...]
[...] Dès lors, les passions, entendues finalement comme des tyrans de l'âme et de la conscience, ne sauraient être compatibles avec la liberté. En effet, elles ne font alors que soumettre l'esprit, le moi, à des puissances étrangères et pour ainsi dire prédatrices qui s'emparent de son être, jusqu'à l'aliénation, dans les cas les plus extrêmes : le sujet est alors comme dépossédé de lui-même, ne s'appartient plus guère et ne peut plus prétendre à l'indépendance intérieure et à sa capacité à effectuer un choix éclairé. [...]
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