Le passage en question se situe à peu près à la moitié du tome I. Après avoir traité dans une grande première partie l'idée du beau comme idéal artistique, Hegel propose dans un second temps de se focaliser sur les formes particulières du beau artistique et le développement de l'idéal au sein de celles-ci. Il sépare ainsi cette deuxième partie en trois sections qui correspondent aux trois formes d'art : symbolique, classique et romantique. L'extrait qui nous concerne se trouve à juste titre dans la première section traitant du symbolisme, et plus particulièrement à la fin du premier chapitre intitulé : De la symbolique irréfléchie.
Or, il achève son étude en interrogeant l'Art égyptien et le mystère qui l'entoure, un problème qu'il aura soulevé plusieurs fois dans l'Esthétique, et qu'il ancre ici dans la forme particulière qu'il incarne éminemment : le symbolisme. Soucieux d'explorer en profondeur tous les aspects possibles et inimaginables des réflexions qu'il soumet, il s'attaque ici au cœur du problème de l'art symbolique égyptien, le Sphinx, défini par ses propres mots comme étant « le symbole du symbolisme même ». Hegel l'envisagera selon plusieurs approches, allant du constat à l'anecdote, qu'il articulera dialectiquement à travers une réflexion profonde sur le symbolisme égyptien contenu dans la figure du Sphinx. Ainsi, à l'image de sa dialectique tripartite, le mouvement du texte se fractionne en trois moments : Le premier, essentiellement descriptif, est une introduction au mystère qui enveloppe et caractérise le Sphinx, et souligne donc la difficulté de l'esprit à pénétrer au sein de la forme (de « Les ouvrages de l'art égyptien » à « tête de femme »). La seconde partie du texte, davantage philosophique, s'oriente logiquement sur les obstacles liés à ces difficultés, et cette volonté opiniâtre de spiritualité, qui ne parvient cependant pas à trouver sa représentation extérieure (de l' « esprit de l'homme » à « devient l'énigme »). Enfin, le troisième et dernier temps marque une analepse historique avec le récit du mythe du Sphinx, et dévoile ainsi l'explication du symbole, ce qui correspond à la libération finale de l'esprit, aux dépends de la forme brute.
[...] Hegel conclue en expliquant la simplicité de la réponse donnée par Œdipe : La vérité est tout simplement en lui et pas ailleurs. Ainsi, il suffit à l'homme d'appliquer ce précepte inscrit sur le fronton de Delphes : Connais-toi toi-même pour résoudre les énigmes. La dernière phrase du texte peut donc apparaître comme une morale beaucoup plus générale : seule la lumière de l'esprit permet d'avancer et ce n'est que par la prise de conscience de soi-même qu'il pourra envisager de se délivrer de la forme sensible, afin de réaffirmer sa primauté et d'espérer trouver enfin la forme qui lui est propre. [...]
[...] Cependant, pour que la pensée soit libre, il faut qu'elle s'affranchisse et se dépouille totalement de la forme matérielle, qu'elle la détruise. Il faut donc voir dans le geste d'Œdipe qui précipita le monstre du haut des rochers une volonté d'anéantir l'art symbolique. Le moment de la destruction, de la négation, est donc nécessaire pour que l'esprit arrive à prendre conscience de lui-même et de sa spiritualité, mais il n'est pas une fin en soi puisqu'il est conçu comme une étape de la vie de l'esprit et permet ensuite la naissance d'un principe plus élevé et le triomphe de l'esprit. [...]
[...] Son précédent texte tourne d'ailleurs autour d'une problématique particulière mais pour s'achever par une morale universalisable, applicable à l'Homme en général et dans tous les cas. En bref, le texte a une portée plus importante que ce qu'il semblait avoir, grâce à ce mouvement systématique du particulier vers l'universel. Cette idée paraît pourtant contradictoire puisque pour comprendre toutes les subtilités de l'art égyptien, il faut y voir une entité particulière et ne pas tenter de le généraliser, de le classer, de le dissoudre. [...]
[...] Le texte suit donc bien une progression dialectique, jalonnée par un mouvement en trois temps qui correspond à différents instants, différentes étapes de la phénoménologie de l'esprit, et qui n'est autre qu'une série de négations aboutissant à une synthèse qui clôt tout le premier chapitre. Hegel répond en effet à la question même du symbolisme, (du moins à son premier niveau), qu'il avait notamment considéré sous le rapport entre forme et contenu. Le problème de déséquilibre entre ces deux notions, c'est à dire la primauté que l'un peut avoir sur l'autre, trouve sa résolution ici, dans cette dialectique qui met fin à l'étude de la symbolique irréfléchie, degré primaire du symbolisme dans son ensemble. [...]
[...] Cela s'explique par le fait qu'à l'origine, le symbolisme est un art ou l'homme n'a pas sa place. L'épisode avec les ongles de lion qui dépassent la taille d'un homme constitue d'ailleurs une parfaite métaphore pour illustrer cet amoindrissement de l'homme par rapport à la représentation artistique, dans un art qui se veut purement extérieur. Ce n'est du reste pas un hasard que Hegel considère l'architecture comme le type fondamental de la forme d'art symbolique (Tome page 145), lorsqu'on sait que cet art est extrêmement répandu et exploité en Egypte, non seulement par les pyramides, mais aussi avec le Sphinx, qui par sa monumentalité, peut se prétendre architecture. [...]
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