Penser, expliquer la nature est un exercice difficile pour l'homme, ainsi qu'en témoigne le long et chaotique cheminement qui sépare les balbutiements de la science ionienne de l'avènement de la science moderne. Quoiqu'il soit une partie de la nature – sur laquelle il ne peut conséquemment prendre de la hauteur qu'en faisant usage de sa raison – c'est à grand peine qu'il perce ses mystères. L'une des questions communes à la philosophie et à la science porte sur l'existence d'un principe de finalité qui régirait les œuvres de la nature. Est-il vrai que la nature (en tant que puissance d'engendrement) ne fait rien en vain ? Autrement dit, fait-elle tout en vue de quelque chose ? Il nous faut bien admettre que la complexité extrême et l'ordre apparemment parfait qui caractérisent, par exemple, l'organisation du vivant, semblent ne pas pouvoir s'expliquer par un simple hasard, par un mécanisme tout à fait aveugle. Tous les êtres vivants, de même que tous les organes d'un corps, sont solidaires, dépendants les uns des autres. N'est-ce pas là la preuve que chaque création de la nature est vouée à accomplir un rôle, à réaliser une fin ? Néanmoins, expliquer la nature d'un point de vue téléologique, lui attribuer quelque dessein, c'est aussi lui concéder un statut de force transcendante et intelligente; c'est donc renier l'héritage de la science moderne, qui s'est justement employée à désenchanter le monde. Ne serait-il pas plus sage, alors, d'affirmer que ce que fait la nature n'a pas de destination préalablement définie ? Les œuvres de la nature ne trouveraient dans ce cas une utilité que dans la mesure où leur structure, accidentellement établie, serait par chance propice à l'accomplissement d'une fonction. Après avoir reconnu que la finalité peut légitimement apparaître comme étant une loi de la nature, nous verrons à quel point cette idée est contestable – quoiqu'elle puisse, peut-être, nous permettre de rendre le monde et la destinée de l'homme intelligibles.
[...] L'enseignement que nous devons en tirer est qu'il ne faut jamais se demander pour quoi une chose naturelle est disposée d'une façon particulière, mais bien plutôt pourquoi. Nous croyons avoir ainsi montré que l'on ne peut être convaincu que la nature ne fait rien en vain si on l'étudie sans prévention et avec toute la précision requise. Mais comment expliquer, alors, que l'on se soit, des siècles durant, satisfait d'un décryptage du monde reposant sur la seule considération des causes finales ? [...]
[...] Attardons-nous un instant, afin d'illustrer à quel point il est singulier de considérer toutes les opérations de la nature comme étant dirigées par des fins, sur l'exemple trivial de l'averse un phénomène que chacun, sous nos latitudes, a l'occasion d'éprouver régulièrement. L'on peut supposer que l'averse se produit dans le but d'arroser la terre, et d'alimenter ainsi en eau les êtres vivants. Mais comment, alors, expliquerions-nous la sécheresse ? Pourquoi n'observerions-nous pas toujours de précipitations aussitôt que le sol devient aride ? [...]
[...] Il semble bien que si. Tant que le finalisme a été la norme, il a été impossible d'expliquer convenablement le mouvement des astres et des autres corps inanimés. Spinoza ne dit pas autre chose lorsqu'il souligne que les hommes ont tenu pour certain que les desseins de la nature surpassent de beaucoup la portée de leur intelligence et que cela eût suffi pour que la vérité restât cachée au genre humain si la science mathématique ne lui eût appris un autre chemin [que la téléologie] pour atteindre la vérité Il y a pire encore : affirmer que la nature ne fait rien en vain, c'est non seulement prendre le risque d'entretenir l'ignorance parmi les hommes, mais peut-être même maintenir ces derniers plongés tout entiers dans un fatras de superstitions les pires des préjugés. [...]
[...] Est-il vrai que la nature ne fait rien en vain ? I. La nature semble être ordonnée par un principe qui la transcende II. Une affirmation péremptoire du principe de finalité pourrait avoir de fâcheuses conséquences III. Réhabiliter la téléologie au vu de sa portée heuristique et zététique Penser, expliquer la nature est un exercice difficile pour l'homme, ainsi qu'en témoigne le long et chaotique cheminement qui sépare les balbutiements de la science ionienne de l'avènement de la science moderne. [...]
[...] Il nous semble donc que nous ne sommes pas aptes à décider s'il est vrai ou non que la nature ne fait rien en vain dans la mesure où nous sommes incapables d'accéder à la connaissance de la nature en soi, c'est-à- dire telle qu'elle est par delà la perception, l'intuition que nous en avons. Nous pouvons en revanche rechercher ce qui, de l'affirmation ou de la négation du principe de finalité, est le plus propice à l'épanouissement de la connaissance et de la pensée. N'est-ce pas là, d'ailleurs, l'essentiel ? [...]
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