A première vue, il n'est rien de plus humain et raisonnable que d'aimer et d'être aimé, c'est-à-dire d'éprouver de l'affection à l'égard d'une personne supposée mettre un terme à notre inquiétude, au sentiment de notre insuffisance. N'est-ce pas l'amour qui donne à la vie tout son prix et sa signification ? Pourtant, aux antipodes de la raison et du contentement, la passion amoureuse semble mener à la désolation, à la souffrance, au manque, au désir insatiable de possession de l'autre. Est-il alors raisonnable d'aimer ? Est-il conforme à la raison et au bon sens d'éprouver pour quelqu'un de l'affection, de l'amitié, de la tendresse, de la sympathie, voire de la passion ? Cette question surprend dès l'abord : que diable la raison viendrait-elle faire là où apparemment tout n'est affaire que de sentiments, d'émotions, d'appréciations subjectives et mystérieuses ? Qui plus est, un amour raisonnable ne serait-il pas un sentiment édulcoré, voire aseptisé ? Mais de quel amour parlons-nous au juste ? S'il peut paraître juste d'aimer, s'agit-il d'une possibilité inconditionnelle valant pour toutes les formes d'amour ? Le verbe aimer ne recouvre-t-il pas des sentiments très variés, de sorte que tout amour ne serait pas forcément raisonnable ? Quelle est donc l'essence de l'amour : une affection pathologique, absurde, irrationnelle ou bien une aspiration sublime à la réciprocité et au dépassement de soi ? N'y a-t-il pas finalement une sagesse de l'amour qui viendrait illuminer la raison elle-même ?
[...] Etre raisonnable, en premier lieu, c'est être capable de définir les fins de l'action en fonction des possibilités et des limites. La raison suppose le sens des réalités. Elle est aussi choix des valeurs par délibération. Or, dans la passion amoureuse, qui n'est pas la seule forme d'amour, mais qui représente l'amour le plus fort, le plus violent, le plus riche en souffrances, en échecs, en illusions, le sujet ne délibère pas à propos des fins : une seule valeur s'impose à lui, c'est sa passion. [...]
[...] La connaissance nous unit également aux autres. Les hommes forment alors une seule communauté dont la seule loi est la générosité, désir par lequel chacun s'efforce d'après le seul commandement de la raison d'aider les autres hommes et de se lier avec eux d'amitié L'homme vertueux cherche d'abord et avant tout son utilité propre. Est utile à l'homme, ce qui satisfait l'effort même de la raison, l'effort pour comprendre, ce qui permet d'accroître son intelligence. Soulignons enfin l'étroite parenté de l'amour et de la raison qui puisent à la même source, celle du désir d'absolu ou d'immortalité, comme l'a merveilleusement expliqué Platon dans Le banquet et dans le Phèdre : l'amour est amour du beau et du bon; l'amour est d'ailleurs toujours un prélude à l'amour de la philosophie, qui est elle-même amour de la sagesse, de la vérité, du bonheur, c'est-à-dire finalement de la raison. [...]
[...] Que faut-il alors entendre exactement par " raisonnable " ? Être raisonnable, en une première approche, ce serait penser et se déterminer en suivant les seuls principes de la raison. Il convient ici de distinguer le rationnel et le raisonnable. Une pensée est rationnelle, en effet, quand elle opère correctement une déduction à partir des axiomes posés au départ. La rationalité désigne la liaison logique, formellement correcte, des propositions énoncées. La raison est ici la faculté de connaître, de combiner des jugements, de distinguer le vrai du faux. [...]
[...] Amour tissé au quotidien par la complicité, la fidélité, l'humour, l'intimité du corps parfois. Marcel Conche, dans un très beau texte (Analyse de l'amour et autre sujets), évoque cet amour authentique, qui suppose la rencontre d'un semblable, une " réciprocité dans la différence " (op. cit., p. où " chacun, par sa présence seule, est pour l'autre un bienfait " (ibid., p. 6). Cet amour est relation, dialogue, inscription dans la durée. Il est oeuvre de raison autant que de sensibilité et de volonté. [...]
[...] L'amoureux veut avoir des raisons d'aimer et il en trouve envers et contre tout. Dans le cas de la passion amoureuse, le raisonnement passionnel prend toutefois au rebours la logique rationnelle, comme le souligne Ribot dans son Essai sur les passions : la conclusion est donnée d'avance elle détermine la valeur des prémisses au lieu d'être déterminée par elles; les arguments n'interviennent, en effet, que pour justifier et rationaliser cette conclusion, raisonnement de nature téléologique puisque la fin y commande les moyens. [...]
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