Il semble à première vue facile de se connaître soi-même dans la mesure où l'on est pour ainsi dire toujours en sa propre compagnie et où notre rapport à nous-mêmes est apparemment immédiat. Cependant, la réponse à la question « qui suis-je ? » est loin d'être évidente. En effet l'immédiateté de notre rapport à nous-mêmes ne nous condamne-t-elle pas à nous soumettre à certaines illusions de notre conscience ? Ne risqué-je pas par exemple de me considérer tel que je voudrais être plutôt que tel que je suis ? Est-il alors plus facile de connaître autrui que de se connaître soi-même ?
Cette question présuppose la possibilité d'une connaissance de soi ainsi que d'autrui : il nous faudra donc étudier ce que signifie connaître un individu. De plus, pour que la question ait un sens, il faut que ma façon de connaître autrui soit comparable à celle que j'ai de me connaître moi-même. Or cela ne va pas de soi : s'il est bien un alter ego, un « autre moi » – je puis communiquer avec lui –, je ne connais autrui, semble-t-il, qu'en tant qu'objet vu de l'extérieur. En revanche, lorsque je tente de me connaître moi-même, je suis à la fois sujet et objet. Dès lors, il nous faudra déterminer ce que signifie la connaissance objective d'un sujet et identifier les difficultés soulevées par une telle démarche. Se posera alors un nouveau problème : est-il judicieux de ne considérer un sujet qu'en tant qu'objet de connaissance ? Ce faisant, ne nous hasardons-nous pas manquer son caractère le plus essentiel, à savoir sa subjectivité ? Chosifier autrui, n'est-ce pas nier son indétermination, donc sa capacité à se déterminer librement ? Est-il vraiment possible de saisir autrui dans sa totalité en le réduisant, par exemple, à la somme de ses actes ?
[...] C'est la thèse de la théorie psychanalytique de Freud. Selon ce dernier, le sujet est divisé en trois instances psychiques. D'abord le ça réservoir des pulsions (amour, faim . ) et du refoulé inaccessible à la conscience. Ainsi dit-on parfois de certains de nos actes que ça a été plus fort que moi Le surmoi ensuite, siège des acquis : interdits sociaux ou parentaux (morale, lois . Celui-ci agit comme un censeur en empêchant les représentations jugées inadéquates aux convenances qu'il s'est fixées d'atteindre la conscience : elles sont alors refoulées dans l'inconscient. [...]
[...] De plus, de par ses objections, autrui me fait penser : il tire alors de moi des pensées que je ne me savais pas possédé. Par l'expérience du dialogue sont finalement rendues possibles une connaissance de soi et une connaissance d'autrui qui s'avèrent être complémentaires et non antithétiques. Ainsi, toute tentative de connaissance d'un sujet, qu'il s'agisse de soi ou d'autrui, pose de nombreuses difficultés, dans la mesure où le moi est difficilement saisissable. Si la connaissance de soi et d'autrui a d'abord semblé incomparable, il est apparu qu'elles étaient intimement liées. [...]
[...] De même, l'hystérie, fruit de contradictions internes, trouverait son origine dans l'inconscient. Mais dès lors que l'on nie l'unicité du sujet en affirmant l'existence d'une part de nous même nous étant inconnue, ne réfute-t-on pas toute possibilité de se connaître soi-même ? Si d'après la théorie psychanalytique, l'inconscient n'est pas totalement inaccessible il se donne à nous de façon cryptée lors de ses manifestations à travers le rêve, les lapsus etc. il demeure très difficile d'y accéder. Pour ce faire, il faut de toute façon faire appel à autrui, à travers la figure du psychanalyste par exemple. [...]
[...] En effet, il ne suffit pas que je reconnaisse autrui pour qu'il me reconnaissance, et vice-versa. En reconnaissant autrui comme un autre homme et non plus comme un simple objet, je m'expose à sa domination, car il sera pour sa part libre de ne me considérer qu'en tant qu'objet, donc à me nier en tant être-pour- soi Ainsi la reconnaissance constitue-t-elle une véritable lutte à mort (Anerkennen) ayant pour enjeu le choix entre vie et liberté. En choisissant la soumission à l'autre par amour excessif de la vie (la philopsychia de la Grèce antique), l'une des deux consciences se prive de sa liberté et devient esclave. [...]
[...] On peut alors tenter faire reposer cette identité sur divers principes fondamentaux : unité du moi (définition du sujet en tant que je pense, c'est en ce sens que Kant emploie le terme de sujet transcendantal unicité du moi (détermination du sujet comme unique et foncièrement différent des autres) ou encore ipséité (capacité d'un sujet à se représenter comme identique à lui-même malgré les changements psychiques ou somatiques qui peuvent l'affecter). Dès lors, comment échapper à la contradiction inhérente au moi qui se pose à la fois comme singulier et multiple ? N'y a-t-il aucun moyen de connaître un individu en tant que sujet ? [...]
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