Est-il nécessaire que l'histoire de l'humanité ait un sens pour que la vie d'un homme en ait un ?

Résumé du document

Que sont les mythes, sinon des récits concernant l'humanité, depuis ses origines jusqu'à sa fin, des fables où les dieux se mêlent aux humains, des histoires dramatiques dont la conscience moderne est nourrie et qui continuent de lui parler ? A travers ces mythes, chaque individu ne revit-il pas un moment de l'humanité qui donne sens à sa vie propre ? Leur importance culturelle ne s'expliquerait pas autrement. Cependant, un problème se pose: on peut se demander pour quelles raisons l'individu serait incapable par lui-même de donner un sens à sa vie, comme l'énoncé le présuppose. En un premier sens, si l'individu n'existe pas par lui-même, ne doit-il pas nécessairement tirer le sens de sa vie de l'humanité qui lui préexiste? Pourtant, avec l'affirmation existentielle de la conscience humaine, la situation est différente: c'est à chacun qu'il revient de donner sens à sa vie. Jusqu'où est-ce possible ? Une conscience peut-elle se séparer de l'histoire de l'humanité ou ne doit-elle pas au contraire s'y inscrire pour mieux se reconnaître ?

Extraits

[...] Dans ce cas, l'histoire de l'humanité doit pouvoir être claire pour chacun, parce qu'elle le symbole d'une providence, l'illustration d'un dessein divin. A cet égard, aussi bien Kant que Hegel lisent dans l'histoire de l'humanité l'expression d'un plan divin qui lui donne sens: la nature humaine est destinée par Dieu à développer ses dispositions à travers l'histoire de l'humanité. En ce sens, la vie humaine individuelle prend un sens en se reconnaissant dans l'histoire universelle. Si l'histoire humaine porte ainsi la marque de Dieu, alors l'individu doit y retrouver le sens qu'il recherche quand il s'interroge: "D'où venons-nous ? [...]

[...] Dans ce cas, il est indéniable que les humains puisent dans l'histoire religieuse un sens qu'ils reportent ensuite sur leur vie, et cela d'autant plus que la religion leur prescrit de conduire leur vie à l'image d'un modèle divin. Les sacrifices donnent un sens à la vie humaine parce qu'ils reproduisent un sacrifice initial tel qu'il est mis en scène dans une histoire exemplaire. La vie humaine a un sens en répétant l'histoire divine. Ils n'en reste pas moins que mythe et religion, en dépit de leur différence conceptuelle, fusionnent souvent, du moins dans les polythéismes, parce que les dieux et les humains vivent une histoire semblable, les uns servant alors de modèle aux autres. [...]

[...] Dans ce cas, se concevant libre et se déterminant par soi, l'humain refuse le détour par l'histoire pour affirmer que le sens de sa vie ne dépend que de soi. Pourtant, là encore, rien n'est simple parce qu'il se peut que la quête de sens s'avère vaine et débouche sur l'absurde. Pour faire coïncider le sens de l'histoire et le sens de sa vie, l'individu découvre alors que sans l'histoire la culture n'a pas de sens, mais que sans la conscience elle n'a pas de sens non plus. Mais la quête du sens de la vie n'est-elle pas sans fin ? [...]

[...] Le "salaud" sartrien est ainsi le type même de celui qui recule devant la responsabilité et qui préfère encore que les autres donnent un sens à sa vie, fût-ce à son détriment. Par conséquent, une question demeure : d'où vient que certains ont le courage d'assumer l'angoisse existentielle en se disant que le sens de leur vie est à inventer, au lieu que d'autres se réfugient dans le mensonge à soi ? Et si un individu est faible, ou du moins reconnaît qu'il n'est pas assez fort pour assumer sa liberté, que peut-on lui reprocher ? Il n'est pas si simple de donner seul un sens à sa vie. [...]

[...] Et que recherche l"'amant de la sagesse" sinon le sens qu'il doit donner à sa vie? La vie philosophique représente à ce titre une position où il revient à chacun de décider du sens de sa vie. Par exemple, "vaut-il mieux subir l'injustice ou bien la commettre cette question socratique pose nécessairement la question du sens de l'existence que l'on veut mener: veut-on vivre au service de la justice ou bien ne vivre que pour soi même injustement? Personne ne peut répondre à cette interrogation sans devoir réfléchir au sens de la vie. [...]