Le «miracle grec» marque la rupture durable entre mythos et logos et donc entre croyance (doxa) et savoir (épistémé). La croyance apparaît comme un assentiment incertain et subjectif par opposition à la certitude objective du savoir, dont l'évidence est fournie par la raison et corroborée par l'expérience. Ainsi, la raison, qui semble d'emblée du côté du savoir, n'est pas de l'ordre de la croyance qui semble irrationnelle, contraire à la raison, et donc irraisonnable. Il serait donc déraisonnable de croire en Dieu. Mais, tout croyant qui a la conviction intime et personnelle de l'existence de Dieu est-il pour autant déraisonnable? C'est plutôt le mécréant Don Juan qui n'est pas raisonnable dans son incroyance démesurée (hybris). Il serait donc déraisonnable de ne pas croire en Dieu.
La contradiction entre les notions de croyance et de raison entretient une tension: est-il déraisonnable de croire en Dieu? La croyance en Dieu dépend-elle du fait que nous avons de bonnes raisons d'y croire? On peut donc se poser le problème suivant: comment peut-on justifier la croyance en Dieu? Par la raison ou par la foi?
[...] Ainsi, on peut prouver l'existence de Dieu par une démonstration logique et rationnelle; il est donc raisonnable d'être théiste car la croyance en Dieu est justifiée par la raison elle-même. Pourtant, si Dieu était démontré, on saurait que Dieu existe, on connaîtrait Dieu et donc on n'aurait plus besoin de croire en Dieu. Or, la croyance en Dieu présuppose un défaut et même une impossibilité de connaissance en Dieu. Est-il donc raisonnable de croire en Dieu à partir de preuves faillibles? Il n'est pas raisonnable de croire en Dieu car on ne peut pas prouver son existence rationnellement. [...]
[...] En dernier lieu, il est déraisonnable de croire en Dieu car la croyance en Dieu aliène la conscience et la liberté. Le faible, incapable de supporter la dure réalité, s'imagine un arrière monde fictif, le royaume de Dieu. Dans l'Avenir d'une illusion, Freud considère que Dieu le Père, dont l'homme a peur et dont il attend la protection, n'est que la transposition nostalgique du complexe OEdipien de l'enfant qui craint tout en admirant son propre père. Plus encore, la croyance en Dieu se manifeste souvent à travers des rites, des prières, des cérémonies, mais, la religion, en déréalisant la souffrance réellement vécue et en donnant une réalité à un bonheur imaginaire au-delà, est «l'opium du peuple» suivant Marx car elle abrutit la masse des hommes et inhibe leur pensée. [...]
[...] La loi morale dompte les instincts primitifs et asociaux de l'homme afin de lui permettre de vivre en collectivité. Par exemple, l'interdiction de tuer, référée à la volonté de Dieu par un commandement des Tables de la loi ne tueras point-, est une base rationnelle de la civilisation. De plus, il est raisonnable de croire en Dieu par foi car Dieu est un noumène. Qu'est-ce qui justifie le présupposé rationaliste selon lequel la croyance en Dieu n'est admissible que si on peut en donner des raisons? [...]
[...] Finalement, l'homme raisonnable sacrifie ce qu'il a de meilleur en lui, c'est-à-dire sa raison qui se suicide pour faire place à la foi en l'absurde. Ensuite, il est déraisonnable de croire en Dieu car la croyance en Dieu pervertit la nature de l'homme. La croyance en Dieu, qui va souvent de pair avec la croyance en l'immortalité de l'âme, véhicule une morale ascétique qui torture les instincts, les désirs, les pulsions, les passions. Cette cruauté mentale envers soi-même est une castration contre- nature qui a pour vocation le dégoût de la sexualité, du corps, et donc du plaisir et de la joie. [...]
[...] Du reste, on peut contester l'affinité de pensée et la ressemblance des ouvrages entre l'homme, créature de Dieu, et Dieu, Créateur de l'homme. Mais surtout, la raison se révolte contre le principe irrationnel du mal et de la souffrance et nie l'existence d'un Dieu méchant par amour de l'humanité. Ainsi, toutes les preuves de l'existence de Dieu ont échoué; il est donc déraisonnable de croire en Dieu alors qu'on ne peut pas prouver rationnellement son existence. Il est donc raisonnable d'être athée. [...]
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