Au moins depuis Aristote, on a coutume de distinguer possible, réel et nécessaire : le nécessaire, c'est ce qui ne peut pas ne pas être ; le réel, c'est ce qui est ; le possible, c'est ce qui peut être. De ce point de vue, l'impossible, c'est ce qui ne peut pas être, ce qui n'est pas à présent réel, qui ne l'a jamais été et ne le sera jamais : l'impossible, ce n'est pas simplement l'irréel voire l'improbable, ce n'est pas seulement ce qui n'est pas, c'est ce qui n'a aucune possibilité d'être. Or comme l'affirmait Leibniz, ce qui ne peut pas être, c'est le contradictoire : un cercle carré est une contradiction dans les termes, et donc une impossibilité absolue. Tel est le principe fondamental de la logique, le principe de contradiction selon lequel l'être ne se contredit pas, et le contradictoire est impossible (...)
[...] Don Juan est donc pénétré de deux désirs contradictoires : son désir de conquête rend impossible son désir de rencontrer effectivement l'amour, et réciproquement. Ce n'est donc pas qu'il désire l'impossible comme tel : il a des désirs incompossibles, c'est-à-dire dont les satisfactions s'excluent réciproquement. Pour dépasser l'absurdité désespérante de sa situation, il lui suffit alors de comprendre que l'impossibilité ne vient pas du monde, mais de son désir lui- même : ce n'est pas le monde qui est mal fait, c'est son désir qui se contredit lui-même. [...]
[...] Celui qui désire l'immortalité mécomprend donc la nature du bonheur. Pire même : en posant comme désirable ce qui ne l'est pas, il se rend malheureux ici et maintenant, puisqu'il se persuade que son plaisir dépend de quelque chose que de toute manière il n'obtiendra jamais. Les désirs vains sont par nature illimités : ce qui est censé les contenter ne les contente en fait jamais, parce qu'ils en veulent toujours plus. Tel est le signe de leur insigne contradiction et il suffit de s'en rendre compte pour revenir à plus de raison, c'est-à-dire pour dépasser leur absurdité. [...]
[...] Désirer l'impossible alors, ce n'est rien d'autre que désirer tout court. Et cela est la marque de la dignité humaine. Conclusion Parce qu'il est un être conscient de sa propre existence autant que du monde, l'homme est un être pour qui le donné jamais ne suffit. C'est pour l'homme et lui seul qu'il y a du possible, c'est-à-dire aussi de l'impossibilité. Et rendre possible ce qui ne l'était pas, dépasser le présent pour plier le donné à notre vouloir, voilà le secret de la grandeur humaine. [...]
[...] La vache broute de l'herbe et la digère, c'est-à-dire l'anéantit : n'étant rien pour elle-même, elle n'est rien d'autre qu'une pure puissance d'anéantissement. L'homme en revanche n'est jamais tout ce qu'il peut être, son présent n'est pas la simple continuation de son passé. Parce qu'il a conscience de sa propre existence, il peut faire retour sur elle et la transformer ; il peut aussi et surtout, du même coup, transformer le monde par son travail : pour l'homme et pour l'homme seul, le réel n'est pas le tout de l'être. [...]
[...] Mais dans ce cas, désirer l'impossible, ne serait-ce pas le moyen le moins absurde pour rencontrer un vrai bonheur ? N'est-ce pas aussi ce qui nous pousse, contrairement aux animaux qui n'ont que des besoins, à transformer le réel par notre travail, à l'aménager pour le plier à nos volontés, bref, à rendre possible ce qui ne l'était pas ? I. La contradiction du désir Si l'impossible, c'est ce qui n'est pas à présent et ne pourra jamais être, alors quel sens y aurait-il à le désirer ? Désirer l'impossible, ce serait désirer l'insatisfaction. [...]
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