Quotidiennement, nous constatons l'évidence selon laquelle chacun est sûr de sa dimension de sujet. Il y a en effet autant d'affirmations subjectives qu'il y a de goûts et de couleurs. Chacun peut s'enorgueillir d'avoir une pensée bien à lui par la simple profération d'un « je pense » ou d'un « selon moi » : autant d'expressions langagières qui traduisent la venue d'un sujet. De même, tout un appareil institutionnel de droits est là pour enregistrer mon statut de sujet : ma carte d'identité atteste de ce que je suis, ainsi que de ma personne de droit (par mon nom) ; la loi reconnaît que je suis l'auteur de mes actes et qu'il m'incombe d'en répondre. Tout est là (dispositif de responsabilité, langage de la subjectivité) pour me sentir sujet en fait ou en droit, auteur de mes pensées et de mes actes.
Et pourtant, nous éprouvons là aussi la possibilité de manquer à nous-mêmes, par manquement à nos obligations, ou bien en adoptant des comportements de dénégation, de mauvaise foi qui sont autant de stratégies conscientes ou inconscientes pour nous défaire, ou introduire un flottement dans notre être si certain de sujet. Tout se passe comme s'il y avait une tension entre cette certitude d'évidence d'être sujet, d'avoir une subjectivité, et la possibilité de dénier cette certitude, de nous en accommoder, et parfois malgré nous, dans un excès de démence et d'oubli de soi, de nous défaire de notre subjectivité parce que nous ne nous reconnaissons même pas, que nous ne sommes pas nous-mêmes.
[...] Il tente de réaliser l'être en-soi que garçon de café. Autrement dit, il échappe à tout moment à l'être qu'il est pour imaginer l'être qu'il n'est pas, mais qu'il a à être. Le sujet du garçon de café est ainsi un sujet paradoxal qui affirme sa condition de garçon de café tout en niant à moitié l'être qu'il est en dehors de cette condition. De ce fait, le sujet se pose non plus dans une exigence d'authenticité, mais dans l'affirmation toujours réitérée qu'il peut être autre qu'il n'est et accomplir une autre fonction que celle qu'il peut accomplir comme garçon de café. [...]
[...] Ce que vise Descartes c'est de refuser un sens matériel à la substance du sujet. Ce moi, qui pense, est une substance immatérielle (Réponses aux 2èmes objections). L'immatérialité de la pensée et donc du sujet constitue sa substantialité, ce qui la distingue réellement du corps. C'est dire alors que la substantialité particulière du cogito s'enracine dans la subjectivité dont elle est l'expression, et cela, en opposition avec la substantialité des choses du monde. Le cogito transforme et subordonne la substance au sujet existant de la pensée. [...]
[...] Car, le garçon de café a ceci de propre qu'il ne peut l'être immédiatement sur le même mode qu'une pierre est pierre ou de que l'encrier est encrier. Certes il sait bien ce qu'elle signifie. Mais toute sa condition, et les droits qu'elle implique sont des possibilités abstraites, des droits et des devoirs conférés à un sujet de droit. Et c'est précisément ce sujet qu'il a à être et qu'il n'est point. Autrement dit, il imagine être ce garçon de café en le jouant. [...]
[...] Mais alors d'où procède cette fiction substantialiste de l'identité personnelle ? C'est là le principe de la déconstruction de l'idée d'identité personnelle. Le principal argument de Hume consiste à dire que l'unité de l'identité est fabriquée par la mémoire et l'imagination qu compose et associe les idées, dérivées des impressions. Si nous n'avions pas de mémoire, nous n'aurions pas la moindre notion de causalité ni, par conséquent, de cet enchaînement de causes et d'effets qui constitue notre moi ou notre personne. [...]
[...] C'est cette assomption qui caractérise le sujet comme tel. C'est dans cette responsabilité que le sujet se dévoile à lui-même. C'est dans cette décision qui convoque tout son être existant que le sujet se révèle en son authenticité. Est-ce à dire que toutes les attitudes inauthentiques, qui ne se haussent pas à la pleine mesure de l'être qu'il a à être, sont des attitudes de sujets de seconde zone ? Si le sujet se caractérise par cette responsabilité qu'il a à assumer de son propre être, est-ce à dire que toutes les attitudes de dénégations, de mauvaise foi, qui tissent la quotidienneté de notre existence sont au fond des comportements sans sujet ? [...]
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