Les thèmes croisés de la pauvreté et de la richesse sont parmi les plus anciens de la philosophie morale occidentale. Pourtant, un des aspects les plus frappants de la pensée contemporaine est la conception uniquement négative qu'elle a de la pauvreté et le mépris dans lequel la société tient les pauvres. Par rapport à la sacralisation de la réussite, de la prospérité économique et de la consommation, la pauvreté est aujourd'hui perçue comme un échec. La poursuite de la richesse comme finalité trouve son fondement dans les impératifs économiques posés par le libéralisme, mais aussi dans des influences culturelles. Cependant, si l'optique libérale pose la richesse matérielle comme source de libertés, d'autres modes de pensée privilégient, par opposition, la richesse spirituelle hors du profit.
[...] Les philosophes et les économistes ont longtemps défini l'économie comme une science de l'accumulation des richesses. Ainsi, pour Adam Smith, l'économie politique cherche comment " procurer au peuple un revenu ou une subsistance abondante De même, l'économiste Marshall la voit comme nécessaire à " l'acquisition et à l'usage des choses matérielles visant au bien-être Ainsi l'hypothèse à la base de toute théorie économique est que les individus sont rationnels, c'est-à-dire qu'ils cherchent le maximum de satisfaction et que, en conséquence, ils exploitent toujours une opportunité d'améliorer leur situation ; et parmi les moyens dont les individus disposent pour y parvenir, on trouve les revenus et l'acquisition de biens. [...]
[...] Au contraire, sa vie emprunte souvent un visage ascétique : il ne tire rien de sa richesse pour lui-même, en dehors du sentiment irrationnel d'avoir bien fait sa besogne [BERUFSERFÜLLUNG]. Une telle éthique semble indubitablement liée à un fondement religieux, ne serait-ce que par le mot allemand BERUF qui, en lui-même, suggère déjà une connotation religieuse : celle d'une tache imposée par Dieu. En effet, pour le puritain, le repos dans la possession est condamnable alors que l'activité sert à accroître la gloire de Dieu car elle perpétue sa volonté. [...]
[...] On peut dès lors se demander ce qui justifie une telle motivation. En effet, si aujourd'hui l'attrait pour la richesse paraît aller de soi, il n'en a pas toujours été ainsi. Cette attitude constitue par exemple une rupture avec toute la conception pré industrielle de la pauvreté qui, en particulier au Moyen-Age, attribuait à cette dernière une valeur sacrée. Il est donc intéressant de rechercher comment cette logique de maximisation du profit est parvenue à s'imposer dans les comportements individuels et quelle en est sa finalité réelle. [...]
[...] Le profit comme fin mène l'individu dans la prison de l'avarice. Ainsi, selon Epicure, " la pauvreté, mesurée à la fin de la nature, est grande richesse ; la richesse sans limite est grande pauvreté On retrouve ici le débat ancien entre richesse apparente (matérielle, extérieure) et pauvreté réelle (abondance de désirs insatisfaits). Dans la tradition grecque et romaine, le couple richesse apparente et pauvreté réelle dénonce le riche, tenaillé par la crainte du manque et par l'avarice, souffrant toujours de ce qu'il n'a pas. [...]
[...] Mais qu'en est-il lorsqu'elle devient une fin en soi ? En effet, on peut considérer que les individus ont tout intérêt à rechercher la richesse pour ce qu'elle permet de faire ; mais il s'agirait alors d'une richesse minimum à atteindre, laquelle serait suffisante pour rendre les individus libres et pleinement satisfaits. Or, il devient de plus en plus fréquent de vouloir atteindre une richesse maximum, qui n'aurait d'autre fin qu'elle même. Un tel comportement n'apparaît plus rationnel, ni donc justifiable puisqu'il ne s'agit plus d'être riche pour répondre à ses besoins, ni même pour plaire à Dieu : il s'agit alors d'être riche pour être riche. [...]
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