Il est courant pour certains auteurs d'intituler leur autobiographie : « Ma vie, mon œuvre ». Outre que cette formulation tend à imbriquer les deux concepts, elle laisse entrevoir à quel point le terme d'« œuvre » est générique. Désigne-t-il l'œuvre de l'auteur en tant que produit fini (ses ouvrages, pour un écrivain), ou bien son action dans le monde (une œuvre de bienfaisance, par exemple), ce qu'il laissera derrière lui ? Et l'autobiographie en question ne vient-elle pas, elle-même, s'inclure dans cette « grande œuvre »? Devant toutes ces alternatives, on est en droit de se demander ce qu'est exactement une œuvre. Le terme désigne à la fois le travail, la tâche, l'action effectués par un agent quelconque, humain ou non, et l'objet, le système, résultant de cette action, c'est-à-dire à la fois l'activité et le résultat de cette activité. Dans ces derniers cas, il peut s'agir d'une production de l'esprit, du talent (dans le cas d'une œuvre artistique, entre autres), aussi bien que du résultat d'un changement opéré naturellement, par exemple. Et si, comme le veut la sagesse populaire des fables de La Fontaine, c'est à l'œuvre qu'on connaît l'ouvrier, alors nous serions bien avisés de prendre garde à la façon dont nous oeuvrons…
[...] La notion de singularité est donc importante pour parler d'une œuvre. Il est certaines œuvres qui peuvent être faites par n'importe qui mais c'est dans le traitement que l'ouvrier peut se distinguer. Le jardinier, en organisant son jardin dans un souci esthétique, produit une oeuvre : il a créé, à partir de la matière sensible (la terre, les graines quelque chose de singulier (un autre jardinier aurait produit un autre jardin). Son œuvre est donc unique, elle porte sa marque et exprime sa singularité propre. [...]
[...] Il est certains ouvrages (religieux, philosophiques, littéraires ) dont on sort différent une fois la lecture achevée - plus éclairé, par exemple, ou bien tout à fait changé L'œuvre a le pouvoir d'entraîner des remises en questions chez celui qui la reçoit. L'œuvre d'art, pour Nietzsche, se reconnaît en ce qu'elle mobilise la volonté de créer chez celui qui la reçoit. Peut-être est-ce là un critère à même de distinguer les œuvres de qualité des autres : un jardin magnifique éveillera chez celui qui le contemple l'envie de jardiner à son tour. [...]
[...] Ou un jardin que l'on a aménagé. Quelque chose que la main a touché d'une façon ou d'une autre pour que l'âme ait un endroit où aller après la mort ; comme ça, quand les gens regardent l'arbre ou la fleur que vous avez plantés, vous êtes là. Peu importe ce que tu fais ( tant que tu changes une chose en une autre, différente de ce qu'elle était avant que tu la touches, une chose qui te ressemble une fois que tu en as fini avec elle. [...]
[...] Il faut, pourtant, coûte que coûte, laisser quelque chose derrière soi. Dans la philosophie existentialiste, un écrivain n'est que la somme des livres qu'il a écrit. Pour Sartre, il n'y a de réalité que dans l'action et l'ouvrier ne peut se définir que par l'œuvre qu'il laisse derrière lui. Il n'y a pas de génie autre que celui qui s'exprime dans des œuvres d'art : le génie de Proust c'est la totalité des œuvres de Proust explique le philosophe existentialiste. [...]
[...] Nous laissons forcément une trace derrière nous, une œuvre, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Or, c'est peut-être à l'œuvre de sa vie qu'on juge l'ouvrier et, si tant est que nous passions devant un tribunal divin dans l'au-delà, le Coran ne nous promet-t-il pas que chacun recevra le fruit de ses œuvres ? Enfin, considérons que je suis l'œuvre de mes parents et que c'est une autre œuvre, celle du temps, qui m'ôtera la vie : il semble, dans cette optique, que notre existence soit cernée par l'œuvre. [...]
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