Que ce soit au tribunal ou dans la vie quotidienne, sur quoi se fonde-t-on pour juger par exemple qu'un homme est coupable ou innocent, qu'une œuvre est belle ou pas? Le jugement ne fait-il que proclamer une évidence? Si cependant la personne ou la situation que l'on juge se montrent d'elles-mêmes dans leur vraie nature, a-t-on encore besoin de recourir à l'arbitrage d'un juge? A l'inverse, le jugement doit-il trancher dans le vif d'une situation confuse? Ne risque-t-il pas alors de devenir une décision arbitraire? Le jugement semble donc un acte du juge : celui-ci ne peut se réfugier derrière aucune loi, aucune vérité manifeste; il doit prendre ses responsabilités. Cependant, le jugement doit être juste et exprimer une propriété réelle de ce que l'on juge. Il convient d'élucider cette nature paradoxale du jugement qui est tout à la fois un acte du sujet qui juge et une caractéristique de l'objet jugé.
[...] On ne peut tirer de l'analyse du concept d'homme que ce qu'on y a mis par des jugements synthétiques. Le jugement est l'activité fondamentale de l'esprit. On pense spontanément qu'il y a dans nos esprits des idées et que le jugement n'est que la mise en relation de ces idées. Nous venons de découvrir que les idées sont elles-mêmes issues de jugements. On peut même dire que l'activité fondamentale de l'esprit est la synthèse. L'analyse est secondaire, car elle ne fait rien connaître : elle ne fait qu'expliciter ce que l'on sait déjà. [...]
[...] C'est pourquoi, dans le langage, le jugement est identifié à l'opinion personnelle. On aura beau jeu dans cette perspective de montrer qu'il y a une part d'arbitraire dans tout arbitrage. De même, s'agissant du jugement réfléchissant, on indiquera qu'il n'y a pas une manière unique d'ordonner le réel : les classifications scientifiques ne cessent d'évoluer; les mots eux-mêmes paraissent fragmenter le réel de manière conventionnelle. Dire que le jugement n'est pas infaillible serait, dans cette perspective, encore trop dire, car il n'y a aucun ordre objectif auquel le jugement pourrait être confronté. [...]
[...] Il n'est donc pas suffisant pour juger de connaître les lois et d'établir les faits. II faut encore interpréter les faits pour savoir de quel article de loi ils relèvent. Pouvons-nous confirmer cette définition sur d'autres exemples? Lorsque nous jugeons du beau ou du vrai, nous appliquons aussi une norme générale à une réalité particulière. Nous reconnaissons dans une œuvre ou une idée la caractéristique générale du beau ou du vrai. Une différence apparaît, toutefois : la loi n'est plus consignée dans un code, elle n'est même pas explicitement présente à l'esprit qui juge. [...]
[...] Le terme B est logiquement contenu dans A. Si par exemple je dis un homme a une tête je ne fais qu'expliciter par mon jugement ce que je pensais implicitement sous le nom d'homme. Or, nous avons souligné l'hétérogénéité qu'il y a entre le particulier et le général unis par le jugement. Le lien n'est donc pas analytique, mais, en empruntant toujours le vocabulaire de Kant, synthétique. Cela signifie que les deux termes mis en relation ne sont pas contenus l'un dans l'autre. [...]
[...] Elle suppose quelqu'un qui rapproche les termes, qui opèrent la synthèse. Nous retombons donc à nouveau sur la même difficulté : si la relation est posée comme vraie par un sujet, ne retombe-t-on pas dans l'arbitraire? Ne faut-il pas accorder à Descartes qu'il existe aussi des jugements analytiques? Dans ces cas au moins, la relation serait connue par l'entendement. Nous avons cité tout à l'heure l'exemple de jugements explicitant la notion d'homme. On répondra à cette objection en montrant que l'idée ou le concept d'homme qui est vu par l'entendement est lui-même issu d'une série de jugements. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture