Les premières traces écrites que nous ayons de l'existence de l'esclavage sont de très peu postérieures à l'apparition de l'écriture. Le fait que l'homme, dès lors qu'il a entrepris de graver son histoire sur des tablettes d'argile, ait ainsi jugé bon de l'évoquer, montre bien à quel point, avec quelle force ce fait d'esclavage est lié à l'humanité. La condition d'esclave se définit communément et commodément par la négative : est esclave celui qui n'est pas libre. Nous ne pouvons néanmoins nous satisfaire de cette simple intuition de ce que l'esclave n'est pas – d'autant plus qu'elle n'est pas forcément juste – et il est conséquemment légitime de se demander ce que c'est que d'être esclave. Si les esclaves étaient essentiellement égaux aux hommes libres, alors il nous faudrait admettre que l'esclave est par nature homme libre, ce qui semble, de prime abord, pour le moins absurde. Il semble donc bien qu'une différence au niveau de la nature de deux hommes puisse expliquer que l'un soit dit esclave et l'autre homme libre. L'expérience nous enseigne pourtant que les statuts d'homme libre et d'esclave ne sont pas forcément ni acquis dès la naissance, ni irréversibles ; être esclave, ce ne serait alors plus avoir la nature d'un esclave, mais plutôt être maintenu dans un état de servitude de façon contingente, accidentelle, voire même, peut-être, artificielle. Afin de saisir ce que c'est que d'être esclave, il nous faut donc avant tout déterminer si l'esclave est esclave (nécessairement) ou s'il est esclave d'un maître (c'est-à-dire si son état d'esclave n'est dû qu'à une soumission accidentelle à un maître).
[...] Celui qui est né esclave, s'il reste sans maître, il est perdu. Il se laisse effacer par la terre Tels sont les propos tenus par le philosophe Sépulvéda dans La Controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière. Telle est la conclusion à laquelle notre réflexion nous a conduits. Il est grand temps de remarquer que nous opposons systématiquement, depuis le commencement de notre étude, l'esclave essentiel à l'homme libre par nature. Être esclave, nous l'avons vu, ce peut être marqué par des vices qui témoignent d'une nature inférieure à celle de l'homme humain qu'est l'homme libre ou, mieux encore, ne pas disposer de la faculté de commandement qui, seule, permet d'accéder à ce statut d'homme libre. [...]
[...] Il n'y a donc pas d'esclave sans la violence d'un maître. Et dès lors que la coercition ne régit plus les rapports entre le maître et l'esclave, ces notions de maître et d'esclave s'évaporent tout simplement. Ainsi, dans l'Ile des esclaves de Marivaux, le bouleversement moral qui affecte les anciens maîtres et qui les conduit au repentir fait que, dans les ultimes scènes de la pièce, les personnages qu'ils aient été par le passé maîtres ou esclaves, qu'importe ! finissent, tels des frères, par se couvrir mutuellement d'éloges et de baisemains. [...]
[...] Tous les hommes naissent hommes, et non pas homme libre ou esclaves. Or si l'on considère avec Rousseau que la liberté n'est pas un avoir mais qu'elle appartient à l'être même de l'homme, et que renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme alors l'idée d'une renonciation volontaire à la liberté apparaît comme inadmissible. Envisager un contrat d'esclavage par lequel maître et esclave définiraient leurs statuts respectifs n'aurait aucun sens, la raison d'être d'un contrat ne pouvant consister en autre chose qu'en un potentiel bénéfice réciproque pour les deux contractants. [...]
[...] Il semble donc bien qu'une différence au niveau de la nature de deux hommes puisse expliquer que l'un soit dit esclave et l'autre homme libre. L'expérience nous enseigne pourtant que les statuts d'homme libre et d'esclave ne sont pas forcément ni acquis dès la naissance, ni irréversibles ; être esclave, ce ne serait alors plus avoir la nature d'un esclave, mais plutôt être maintenu dans un état de servitude de façon contingente, accidentelle, voire même, peut-être, artificielle. Afin de saisir ce que c'est que d'être esclave, il nous faut donc avant tout déterminer si l'esclave est esclave (nécessairement) ou s'il est esclave d'un maître (c'est-à-dire si son état d'esclave n'est dû qu'à une soumission accidentelle à un maître). [...]
[...] L'enseignement que nous en tirons est qu'être esclave, c'est avoir peur d'être libre. Cette affirmation est également illustrée par la fameuse dialectique du maître et de l'esclave que présente Hegel dans le quatrième chapitre de la Phénoménologie de l'Esprit. Deux hommes se font face, chacun voulant être reconnu par l'autre. L'un accepte de risquer sa vie pour affirmer sa liberté ; l'autre, maintenu par la peur, est trop faible pour pouvoir se montrer comme une pure négation de sa manière d'être objective ou qu'il n'est attaché à aucun être-là déterminé c'est-à-dire qu'il n'est pas attaché à la vie : sa nature le contraint à préférer la soumission au risque de sa vie, si bien qu'il ne peut être reconnu comme une conscience de soi indépendante Voilà un homme qui n'a pas su prouver son indépendance à son rival qui, lui, par le risque de sa vie, a conservé sa liberté. [...]
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