S'interroger sur le caractère de posséder de la foi en la raison conduit, au premier abord, à souligner l'étrangeté du lien instauré. Se référant, en effet, à la définition de la notion de foi abordée par Pascal dans Les Pensées, l'on aboutit à un tableau faisant état des concepts de croyance et de confiance. Plus précisément, lorsque Pascal analyse la notion de coeur, il en fait une faculté de la foi dans la mesure où cette dernière concerne non pas ce qui fait preuve mais ce qui fait sens. Dans le domaine de la religion, et par là même de la notion de Dieu, avoir foi est faire confiance à l'existence de Dieu, choisir de croire qu'il existe alors qu'il ne se montre pas, qu'il, autrement dit, ne donne pas de preuves de son existence. C'est là l'essence même de la foi puisque, si Dieu se montrait directement et/ou incessamment, il n'y aurait plus aucun mérite à croire en lui étant donné que l'on serait certain de son existence et l'on pourrait la prouver. D'ailleurs, alors même que Dieu se fait homme, il s'éloigne d'un cran supplémentaire de la connaissance de l'homme ajoutant à son impénétrabilité transcendante les difficultés introduites par la connaissance, aussi problématique, d'autrui.
Ainsi, non seulement la foi peut se permettre de s'exprimer à propos d'éléments auxquels la raison, selon Pascal, ne peut s'exprimer car incapable de formuler des arguments en faveur ou contre mais, davantage, la foi est cette sensibilité qui fonde sa force sur l'absence de preuves sans laquelle elle perdrait, tout simplement, son sens. Cette distinction est également soulignée dans la IVe section du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein qui en fait un problème purement langagier. Il y aurait, en effet, dans l'articulation de la raison et de la foi, un abus de langage lié aux limites du monde. En effet, ce qui relève de la raison renvoie à ce à propos de quoi le sujet peut s'exprimer et acquiert ainsi un caractère "usuel". Par opposition, la foi par son caractère indéfini (dans la mesure où elle porte à s'exprimer sur des notions aporétiques pour la raison) est ce dont le langage ne peut pas faire état et que ce dernier se doit donc de taire.
[...] Ce n'est pas en effet parce que l'un individu excelle en charité qu'il excellera automatiquement dans l'ordre de l'esprit. Ainsi, le fragment 308 des Pensées: "une royauté terrestre n'aurait pas augmenté d'un iota la grandeur infiniment infinie du Christ." Le fait d'ajouter un pouvoir terrestre à celui universel n'aurait en rien contribué à étendre sa grandeur dans la mesure où ceux-ci renvoient à des ordres bien distincts. Suivant cet empiétement des ordres il conviendrait d'extrémiser notre propos en introduisant la notion de tyrannie pascalienne. [...]
[...] C'est ainsi que Pascal et Kant soulignent la nécessité aussi bien de conjuguer les deux que de s'abandonner à la foi dans la mesure ou cela n'a rien à voir avec le saut dans l'irrationnel de Kierkegaard mais bien une étape de la réflexion rationnelle qui conduit, par le biais l'irraison, à la raison. Avoir foi dans la raison est, en somme, attribuer son rôle véritable et authentique aussi bien à la foi qu'à la raison, l'une permettant de développer l'autre, la seconde permettant de tenter de fonder rationnellement la première. [...]
[...] Le seul moyen pour la raison de se dépasser et pouvoir se prononcer sur ce qui, au sens propre, la transcende, est bien celui de recourir à la foi. Car, c'est bien avec le caractère intuitif et perceptif propre de la foi que la raison peut aller au-delà de ses limites. Il serait en effet superficiel de faire de la foi une simple sensibilité aperceptive et irrationnelle. Au contraire, il s'agit bien d'une faculté permettant d'aller au-delà de l'expérience sensible et de saisir des principes éventuellement analysables par la raison. De même, la raison permet de fonder rationnellement la foi. [...]
[...] Lorsque l'on affirme que la foi et la raison sortent de leur enclavement faut-il encore savoir quel est l'équilibre qu'elles entretiennent. Doit-on envisager le lien sous le rapport d'une raison de la religion, d'une religion de la raison, d'une subordination de l'une des deux notions ? Il est bien connu que ces différentes voies ont été entreprises de nombreuses façons et il ne nous intéresse pas ici de décrire leur modalité de déploiement. Suffise ici, un peu comme le fait Aristote en Physique IV à propos du temps et du mouvement, de préciser que la foi et la raison sont quelque chose de l'autre et participent l'une de l'autre. [...]
[...] Que viendraient en effet faire sur le même plan deux notions si distinctes ? Au sens pascalien, elles semblent nous renvoyer à deux ordres radicalement hétérogènes. A vouloir les associer l'on causerait dans ce sens un empiétement d'ordres. Ce sont en effet des grandeurs reposant sur des systèmes de valeurs fondamentalement divergents. L'on sait que pour Pascal il est possible d'être grand à la fois dans l'ordre de l'esprit et dans celui de la charité (autrement dit, de la raison et de la foi) mais ces formes d'excellence ne sont pas cumulatives. [...]
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