Avec Chatterton, Vigny offrit à la génération romantique le prototype de l'artiste qu'elle attendait : celui d'un poète fragile et génial, malmené par une société qui ne sait ni reconnaître son génie, ni lui offrir l'emploi qui lui permettrait de le cultiver, le poussant ainsi au suicide. Au-delà du pathos proprement romantique du génie méconnu, il y a dans cette description de la condition de l'artiste une intuition qui fit largement florès par la suite : la beauté d'une grande oeuvre n'étant pas accessible à tous, le talent artistique a pour corollaire la solitude, seules quelques âmes particulièrement sensibles ou élevées étant en mesure de reconnaître la beauté là où elle se trouve (...)
[...] En retour, nous éprouverons un plaisir inédit et purement esthétique, qui semble bien n'avoir rien de commun avec ceux que nous éprouvons à l'habitude. Car l'amateur d'opéra qui entend sourdre progressivement la musique du prélude de L'Or du Rhin se trouve comme transporté par un plaisir intense qui est pure jouissance esthétique : jamais, à aucun moment de notre vie quotidienne, nous n'éprouvons ainsi un plaisir de la pure contemplation, de la pure audition, auquel rien d'autre n'est lié, ni souvenir, ni sentiment, ni désir. [...]
[...] C'est là toute la difficulté : peut-on penser une forme de plaisir qui soit tellement déliée des émotions les plus courantes qu'elle en devienne presque irréelle ? De fait, une telle définition paraît exorbitante, ne serait-ce que parce qu'elle risque de rendre incompréhensible l'ancrage de l'art dans nos sensations et nos plaisirs quotidiens, voire terre-à-terre La notion de beauté reste en effet équivoque, comme le souligne Socrate tout au long de l'hippias majeur : nous appelons beau aussi bien des marmites que des chevaux ou des corps. [...]
[...] Peut-on réellement dire de la beauté qu'elle procure une joie sans mélange, qui n'a rien à voir avec la satisfaction d'un intérêt ou la sensation d'une chose agréable ? À cultiver ainsi l'idée qu'il n'y a de véritable beauté que pure, en récusant par principe toute forme de beauté qui ferait des concessions à la sensibilité la plus naïve, ne condamne-t-on pas l'art à l'abstraction et l'artiste à la solitude ? Il convient donc d'interroger ce désir de pureté qui semble envahir les artistes et satisfaire les désirs des connaisseurs : faut-il y voir un témoignage de l'originalité de la démarche artistique ou n'est-ce là que le signe d'une idéologie artistique, comme il y en eut d'autres tout au long de l'histoire de l'art ? [...]
[...] Car la pureté du plaisir esthétique est telle que tous ne semblent pas prêts à l'éprouver : il faudrait pour cela une sensibilité particulière, que les auteurs romantiques ont souvent dessiné sous les traits de femmes qui venaient, telle la Kitty Bell de Chatterton, racheter les fautes de goût des hommes qui les environnent et qui, par naissance ou par éducation, ne savent pas éprouver ce plaisir particulier qui suppose de rompre avec tout ce qui fait notre quotidien. Pour saisir la beauté, il faut accepter de rompre avec toutes les formes de l'intérêt le plus coutumier, il faut être disposé à se laisser habiter par la grâce. Le plaisir artistique est inédit et exceptionnel : la pureté est son essence et la capacité à en saisir le prix la condition de sa réception. Reste alors à comprendre comment une telle émotion peut même être possible. [...]
[...] Le désir d'art 3. L'abstraction, seule voie vers la pureté ? III L'émotion esthétique au cœur du sensible 1. Le soupçon de l'impureté2. L'art, révélateur du sensible 3. La pureté absolue, un simple point de repère Avec Chatterton, Vigny offrit à la génération romantique le prototype de l'artiste qu'elle attendait : celui d'un poète fragile et génial, malmené par une société qui ne sait ni reconnaître son génie, ni lui offrir l'emploi qui lui permettrait de le cultiver, le poussant ainsi au suicide. [...]
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