Alors qu'il est une certaine complaisance dans la certitude, une jouissance de l'évidence, la satisfaction du “Cela de fait pas l'ombre d'un doute” révèle l'obscurité et la vanité trouble de l'incertitude, qui immobilise l'agir, comme une perte de temps. Pourtant personne n'échappe au doute, à l'embarras et à la perplexité tragique d'Hamlet, à son célèbre « To be or not to be » qui résonne en chacun. Dans ces conditions, pourquoi douter ? Il s'agit d'expliquer les causes ou les raisons pour lesquelles l'homme doute ou peut être conduit à douter. Il faut noter qu'interroger le doute, et douter paradoxalement de ses motivations, l'illustre déjà comme un mouvement intérieur qui fait chavirer la pensée, un étonnement nécessaire à réflexion. Mais le problème s'accroît si l'on prend soin de noter l'ambivalence de la notion : il peut dévoiler une incertitude quant à l'égalité apparente des possibles, et exprimerait alors une indétermination face à une question, témoignant d'un oubli ou du surgissement contingent d'un événement, et suspendant la décision. Il apparaîtrait en ce cas comme le résultat d'une défaillance, le constat d'un non-savoir. Mais il peut aussi résulter de la volonté d'une remise en cause, d'une résolution à éliminer le superflu, l'erreur, pour choisir une voie plus juste. Il devient alors la cause de l'établissement d'un savoir nouveau. Ces différentes modalités sont-elles en elles-mêmes douteuses ou bien faut-il chercher en nous les raisons théoriques ou pratiques du doute ? L'enjeu d'une telle réflexion est éthique et épistémologique. Il s'agit d'une part de s'interroger sur le rapport de l'individu au douteux : quelles motivations peuvent inscrire le doute comme une conduite, un comportement ? Il convient d'autre part de questionner le rapport du doute à la connaissance : quelle utilité l'individu trouve-t-il à douter ? Ces deux axes débouchent sur un problème d'ordre ontologique : le doute a-t-il une réalité assez consistante pour manifester l'existence ?
[...] L'incertitude devient ainsi le mode d'existence du penseur authentique, comme l'indique Kierkegaard dans le Post-scriptum aux miettes philosophiques : La présupposition de douter devrait requérir toute une vie d'homme Le doute exprime le tiraillement de l'avoir à être, il est la passion paradoxale de la volonté qui s'efforce d'être ce qu'elle n'est pas, de savoir ce qu'elle ne sait pas. Le penseur authentique se trouve ainsi dans une interrogation toujours éveillée, soumis à la torture de la question. Kierkegaard précise l'espace de l'incertitude en renouvelant le mythe du char ailé : en attelant à un char une haridelle et un Pégase, la passion naît chez le cocher, qui veut harmoniser le désordre des deux chevaux. [...]
[...] De plus le parti-pris de la connaissance rabat le mode d'être de l'homme sur celui de la chose : de la certitude de l'existence (je suis), Descartes passe à la détermination d'une essence (ce que je suis), le sujet pensant. Comment alors replacer ce doute dans l'expérience brute de l'existence ? Douter est, avant tout, une expérience qui bouleverse le cours de la réflexion. Il convient donc de s'interroger sur les significations ontologiques d'une telle mise à l'épreuve de la subjectivité. [...]
[...] Cette métaphore illustre le combat de l'homme saisi entre la vie concrète et l'éternité, le fini et l'infini. En cela la passion est incertitude et sommet de la subjectivité, puisqu'elle traduit la tension entre ce qu'est l'homme et ce qu'il n'est pas. Le doute devient ainsi le mode d'accès à la vérité pour Kierkegaard, en ce qu'il intériorise l'incertitude objective, exalte l'existence et s'approche alors de la foi, qui consacre l'ignorance de la passion et déborde l'univers de la raison. [...]
[...] Il devient alors la cause de l'établissement d'un savoir nouveau. Ces différentes modalités sont-elles en elles-mêmes douteuses ou bien faut-il chercher en nous les raisons théoriques ou pratiques du doute ? L'enjeu d'une telle réflexion est éthique et épistémologique. Il s'agit d'une part de s'interroger sur le rapport de l'individu au douteux : quelles motivations peuvent inscrire le doute comme une conduite, un comportement ? Il convient d'autre part de questionner le rapport du doute à la connaissance : quelle utilité l'individu trouve-t-il à douter ? [...]
[...] C'est pourtant l'artificialité d'un tel doute qui a fait sentir le besoin de le réincarner dans la mise à l'épreuve de la subjectivité. Le doute y devient alors le mode d'être du penseur authentique, sublime l'existence et trouve sa pleine justification dans l'écart qu'il creuse entre l'être et les possibles, libérant les sens, et dans sa tension vers l'état, toujours insaisissable, de l'évidence de soi. Douter constituerait ainsi le noyau de la passion qui voudrait l'homme en même temps en deux endroits, l'éternité concrète, seule créatrice de sens, pour empêcher l'assise stagnante de la pensée. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture