« Je me sentais fait pour la retraite et la campagne ; il m'était impossible de vivre heureux ailleurs. À Venise dans le train des affaires publiques, dans la dignité d'une espèce de représentation, dans l'orgueil des projets d'avancement ; à Paris clans le tourbillon de la grande société, dans la sensualité des soupers, dans l'éclat des spectacles, dans la fumée de la gloriole ; toujours mes bosquets, mes ruisseaux, mes promenades solitaires, venaient par leur souvenir me distraire, me contrister, m'arracher des soupirs et des désirs. » Rousseau, dans cet extrait des Confessions, préfigure la sensibilité romantique et affirme son rejet de la civilisation urbaine corruptrice, de ses salonnards hypocrites, de sa société brillante et futile. Quel contraste entre ces propos et ceux de Balzac qui, dans son roman Les Paysans (1844), décrivant les campagnards, s'écrie horrifié : « Les Peaux-Rouges de Fenimore Cooper sont ici ! »
[...] Balzac, dans le premier chapitre de La Fille aux yeux d'or, intitulé Physionomies parisiennes assimile ainsi Paris à un égout moral, à un pandémonium peuplé d'individus cupides, immoraux, sans scrupules : Un des spectacles où se rencontre le plus d'épouvantement est certes l'aspect général de la population parisienne, peuple horrible à voir, hâve, jaune, tanné. Paris n'est-il pas un vaste champ incessamment remué par une tempête d'intérêts sous laquelle tourbillonne une moisson d'hommes [ . dont les visages contournés, tordus, rendent par tous les pores l'esprit, les désirs, les poisons dont sont engrossés leurs cerveaux ? Que veulent-ils ? [...]
[...] La situation est particulièrement préoccupante dans les petites communes des zones rurales isolées. Ainsi, entre 1980 et 1998, le nombre de communes qui ont perdu leur commerce d'alimentation y a été multiplié par trois. Ce phénomène touche environ un tiers du territoire national. Ces campagnes qui déclinent cumulent en règle générale trois handicaps : la faible densité de population, une tendance à la monoactivité plus prononcée, et une évolution démographique régressive. Pierre Bourdieu dépeint ainsi, dans Le Bal des célibataires Crise de la société paysanne en Béarn, toute la cruauté de ce déclin des sociétés paysannes : Le célibat est l'un des drames les plus cruels que la société paysanne ait connu au cours des dernières décennies. [...]
[...] La fin des terroirs a permis, dans un premier temps, de rapprocher les modes de vie urbains et ruraux Contrairement à ce qu'affirme l'historiographie romantique, les campagnes françaises formaient jusqu'au début du XXe siècle, au cœur de la nation, un monde à part. Eugen Weber montre dans La Fin des terroirs. La Modernisation de la France rurale (1870-1914) que les campagnes constituaient en France, jusqu'à la Première Guerre mondiale, un îlot sous-développé, isolé du inonde des villes et du progrès, et tenu largement à l'écart de la construction nationale. [...]
[...] Dans le roman éponyme du même auteur, Thérèse Desqueyroux ne parvient à échapper à cette emprise de la famille, des voisins, de la bonne société landaise où elle étouffe, que dans le dernier chapitre, lorsqu'elle arrive à Paris. Le roman s'achève sur cette phrase qui sonne pour Thérèse comme une libération : Thérèse avait un peu bu et beaucoup fumé. Elle riait seule comme une bienheureuse. Elle farda ses joues et ses lèvres, avec minutie ; puis, ayant gagné la rue, marcha au hasard Heureuse, anonyme, perdue dans la ville, Thérèse est libre, mais seule. C'est en effet le relâchement du lien social qui explique la solitude urbaine. [...]
[...] Cette toponymie projette une symbolique obsidionale, le centre craignant d'être encerclé par ces territoires périphériques incertains, dangereux, hier politiquement hostiles (la banlieue rouge), aujourd'hui physiquement menaçants (aux apaches et aux blousons noirs des banlieues ouvrières, ayant succédé les délinquants des cités). Céline, qui fut médecin de banlieue, et qui fraya chaque jour avec ces populations modestes, décrit dans Voyage au bout de la nuit le mépris mêlé de crainte entourant ces espaces périphériques, subsidiaires, et leurs habitants : Pauvre banlieue parisienne, paillasson devant la ville où chacun s'essuie les pieds, crache un bon coup, passe, qui songe à elle ? Personne. [...]
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