L'usage commun que nous faisons des « mots » nous porte à croire qu'ils ne sont que d'anodines formes d'expression de notre pensée, des outils sans consistance sur lesquels nous pouvons sans problème nous appuyer ; ainsi les mots, que nous pouvons d'ores et déjà assimiler au langage en ce qu'ils sont différenciés les uns des autres, ne semblent pour nous ne pas avoir de valeur intrinsèque, de pouvoir interne. Relevons déjà le fait que nous ne parlerons pas du mot, en tant qu'unité singulière, mais bien « des mots », c'est-à-dire de cet ensemble qu'est le langage, et, a fortiori, toute autre forme de communication. Ce que nous qualifions de « mot » peut être assimilé comme tel dès lors qu'il se détache d'un autre, au moyen d'un temps, d'un silence, et qu'il n'est pas un simple son incompréhensible, ce qui suppose son imprégnation dans un système de langue, dans un code ; il n'y a pas de mot sans convention. Cependant, qui parle de convention soulève nécessairement la question du rapport du mot au monde, et de fait son pouvoir sur celui-ci. Si, en effet, le mot était entièrement détaché de notre réalité, comment pourrait-il agir sur cette dernière ? Par nature objet intellectuel, quel lien entretiennent les mots avec le « monde sensible » ? Par delà même cette question, nous pouvons nous demander à quel niveau peut, hypothétiquement, se situer le pouvoir des mots : sociologique, psychologique, physique, illusoire ? En réalité, les mots, le langage, ont-ils un pouvoir en et pour eux-mêmes, ou au contraire n'en ont-ils que parce que nous voulons bien leur en accorder ? Nous ne pouvons pas croire à la neutralité des mots. On peut toujours lancer des paroles en l'air, il reste que le seul fait de les prononcer laisse une trace. Les mots ne contiennent-ils pas, dans l'action qu'ils propulsent, un pouvoir pour commander la réalité ?
[...] La parole a jeté un sort sur la vie (Saussure, dans le Cours de linguistique générale). Dans un cas comme dans l'autre, celui qui fait l'objet soit de la flatterie, soit de la calomnie, succombe à une sorte d'envoûtement créé par la parole en s'identifiant à la représentation qu'a tissé le langage. Il y a une puissance magique du langage dans cette capacité qu'il possède de faire naître dans l'esprit une représentation autre et différente de la réalité. Voici ainsi apparaître le pouvoir de création du langage Pour ainsi dire, le langage est créateur, producteur de réalités subversives au réel. [...]
[...] Cependant, qui parle de convention soulève nécessairement la question du rapport du mot au monde, et de fait son pouvoir sur celui-ci. Si, en effet, le mot était entièrement détaché de notre réalité, comment pourrait-il agir sur cette dernière ? Par nature objet intellectuel, quel lien entretiennent les mots avec le monde sensible ? Par delà même cette question, nous pouvons nous demander à quel niveau peut, hypothétiquement, se situer le pouvoir des mots : sociologique, psychologique, physique, illusoire ? [...]
[...] En effet, il est un autre pouvoir des mots, celui de libérer les esprits, de les exhorter à penser. La puissance du langage tient alors à sa nature même, d'outil de pensée, mais qui force le sujet à réfléchir Sans mots, sans langage articulé, la pensée est elle possible ? Sans doute, mais la pensée nécessitera un autre canal pour s'exprimer, usant d'une autre voie de communication (nous nous réfèrerons un peu plus tard à Emmanuelle Laborit, philosophe sourde-muette, qui ne pensait pas avant l'apprentissage de la langue des signes) . [...]
[...] Ainsi nous sommes à même de parler d'un pouvoir des mots Mais qu'entendons nous par pouvoir ? Quel type ? Quels sont ils ? Ayant ainsi établi une relation entre les mots et notre monde, nous sommes à même de nous demander quels types d'influences, quels pouvoirs peuvent avoir les mots sur notre monde. En réalité, le pouvoir des mots se situe à de nombreux niveaux ; physiologique, psychologique, physique, spirituel, mental Personne ne doute que le langage soit un remarquable outil de domination et de pouvoir et comme la réalité politique fait aussi partie de la réalité, il faut bien concéder que l'on peut agir par le langage sur la réalité en commandant aux hommes. [...]
[...] Le pouvoir agissant du mot tient à son sens pour autant qu'il est adressé à quelqu'un. Le mot ne blesse que s'il est compris comme blessant. Ce qui touche dans le langage, c'est la signification, et aussi l'intention qu'il porte. Il y a des mots qui disent la haine et la rupture, et des mots qui disent la réconciliation et le pardon. Nous avons précédemment relevé la négativité du langage, en ce qu'il est un outil de domination ; cependant, l'idée de domination mentale est intimement liée à celle de libération. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture