Dissertation de philosophie sur le sujet : Le philosophe Francis Bacon louait Machiavel d'avoir présenté, dans son ouvrage Le Prince, "ce que font les hommes, et non pas ce qu'ils devraient faire". Dans quelle mesure pensez-vous qu'il serait possible d'appliquer cette remarque au Richard II de Shakespeare ?
[...] Mais on s'aperçoit très vite qu'en réalité, dès la partie "médiévale" de Richard II, le roi Richard se conduit comme un Machiavel de la Renaissance ; en somme, envisagée de la sorte, la pièce montre que, malgré les apparences et malgré le discours politique, il est impossible d'opposer l'idéal et la réalité, ou bien "ce que [les hommes] devraient faire" (qui serait censé se trouver dans la partie "médiévale" de la pièce) et "ce que font les hommes" (que l'on trouverait dans la partie "Renaissance" de la pièce). Il s'agit en quelques sortes d'un sujet sur "idéalisme et pragmatisme". Où est l'idéal dans la pièce ? [...]
[...] Une leçon de pragmatisme 3.1 Le bien et le mal, le juste et le faux sont-ils donc des notions relatives et non pas absolues ? Certes, nous savons tous ce qu'est le bien ; mais Shakespeare place ses personnages et, à travers eux, ses spectateurs dans des situations complexes où les décisions, les attitudes à prendre ne sont plus aussi claires et simples. Richard voudrait bien conserver la couronne et gouverner son royaume de façon efficace mais ses appétits l'amènent sans cesse à transgresser les lois morales ; York, en bon légitimiste, voudrait bien jeter Bolingbroke et sa suite en prison mais comme il ne le peut pas, il se trouve forcé de pactiser avec eux ; Bolingbroke voudrait bien récupérer son titre et ses terres sans s'attaquer au Roi mais c'est justement le Roi qui est l'obstacle qu'il rencontre sur sa voie, et petit à petit son but réel se modifie et se précise Nous venons assister à une représentation de cette pièce avec nos idées toutes faites, avec la théorie sur ce qu'est l'honnêteté, ce qu'est un bon roi, ce que sont la justice et la bonne gouvernance, et la pièce nous place dans des situations où ces idées claires et simples se révèlent être, en fait, simplistes et réductrices, et ne pas nous fournir de solutions claires et univoques. [...]
[...] Si, ailleurs dans l'œuvre, la théorie politique est placée dans la bouche de pieux vieillards comme Gaunt, York ou Carlisle, ici, au cœur de la pièce, c'est Machiavel qui fait surface. Et du point de vue du jardinier, il ne fait aucun doute que Bolingbroke est un meilleur souverain que Richard : les deux images utilisés par le jardinier pour désigner les parasites improductifs, celle des mauvaises herbes et celle des chenilles, se retrouvent toutes deux dans la bouche de Bolingbroke quand il condamne les flatteurs qu'il nomme "the caterpillars of the commonwealth, which I have sworn to weed and pluck away" ( 2.3 .166-7). [...]
[...] Tous les souverains le savaient, mais le discours officiel le taisait. William Shakespeare, contemporain de Francis Bacon, a également écrit des ouvrages politiques ; nous pouvons donc nous attendre à ce que ce que ces contradictions se retrouvent dans ses œuvres, et nulle part plus clairement que dans son Richard II. Nous verrons cependant que la nature même du texte littéraire brouille la leçon politique en incarnant la théorie dans des personnages complexes ; la littérature, et en particulier le théâtre, n'a pas pour mission d'exposer des absolus, de montrer ce que les hommes devraient faire, mais au contraire de présenter ce qu'ils font vraiment Shakespeare et le machiavélisme 1.1 Contrairement à Machiavel, Shakespeare n'était pas un politique, mais un artiste, un écrivain, un dramaturge reconnu, entre autres, pour ses pièces politiques. [...]
[...] Pièce historique ou tragédie ? Les conditions de l'édition à l'époque reflètent bien cette dualité, ou cette ambiguïté : publiée sous le titre de "Tragédie" dans les éditions in-quarto, la pièce est néanmoins incluse dans la catégorie des "History Plays" dans l'édition in-folio de Si la pièce développe des idées, il est évident que ces idées abstraites et d'application générale sont néanmoins incarnées par des personnages concrets et spécifiques. La notion de royauté de droit divin n'est pas simplement exposée dans la pièce comme elle le serait dans un manuel de théorie politique, elle est incarnée dans la personne du roi Richard, roi qui se trouve être, peut-être, ou plus ou moins, indigne du pouvoir dont il est investi. [...]
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