La volonté de réorganiser la société et sa législation sur de nouvelles bases scientifiques afin de libérer les hommes du hasard et de l'irrationnel et de les mener au bonheur du plus grand nombre est au coeur de la politique utilitariste, qui, telle que la conçoit Jeremy Bentham, repose sur l'idée principale que l'utilité est la fin que poursuit toute action humaine et qu'elle peut être calculée rationnellement selon le principe du plaisir et de la peine (...)
[...] Mais Kant envisage la possibilité d'une organisation politique cohérente pour un peuple d'individus égoïstes et mus par le seul souci de leur intérêt, un peuple de démons : si ces individus immoraux sont rationnels (au sens utilitariste : calcul de son intérêt optimal), alors il est possible de leur donner une constitution qui enchaîne tellement leurs passions personnelles l'une par l'autre que, dans leur conduite extérieure, l'effet en soit aussi insensible que s'ils n'avaient pas du tout ces dispositions hostiles (Projet de paix perpétuelle, Ier supplément). La contrainte juridique extérieure peut produire les mêmes effets extérieurs que l'obligation morale intérieure. Sans doute ces comportements arrachés par la contrainte plutôt que sincèrement voulus sont-ils dépourvus de valeur morale, ils n'en préparent pas moins la réforme morale du coeur humain. La politique prépare et anticipe la morale. [...]
[...] Ce qu'il faut opposer à une politique utilitariste égoïste, c'est la philanthropie, la sympathie. Le code du sentiment doit venir corriger l'exclusif code de l'intérêt Émerge un utilitarisme d'un type nouveau, un utilitarisme sympathique Le principe politique utilitaire saint-simonien est donc le suivant : d'après ce principe que Dieu a donné aux hommes pour règle de leur conduite, ils doivent organiser leur société de la manière qui puisse être la plus avantageuse au plus grand nombre Au calcul des plaisirs et des peines, cet utilitarisme substituerait, pour réaliser le bonheur de chacun et de tous, les exigences d'une religion immanente et fraternelle : aimer son prochain comme soi-même. [...]
[...] Car c'est dans la considération de l'utilité commune et de l'intérêt général qu'ont été massivement cherchés les critères de la bonne gouvernance. La solution proposée par Bentham pour dépasser ces deux principes qui tireraient manifestement dans des directions qui resteraient indéfiniment opposées, est l'élaboration d'un troisième principe, le means- prescribing, or junction-of-interests prescribing principal un principe d'harmonisation artificielle des intérêts, qui expose les moyens d'accorder ce qui est à ce qui devrait être. C'est cet accord, qui n'avait pas lieu spontanément naturellement, que le législateur rationnel doit s'efforcer d'atteindre en produisant une société dans laquelle chaque individu accédera à son plus grand bonheur possible parce qu'il vit sous une forme de gouvernement qui se soucie le plus du bonheur de tous. [...]
[...] L'erreur de la doctrine de l'intérêt bien entendu repose sur son incapacité à articuler cette dualité de la nature humaine : Nous sommes raisonneurs, mais aussi passionnés ; nous sommes intéressés, et cependant nous savons nous livrer au dévouement le plus généreux. (Bazard). Il faut donc opposer à la doctrine de l'intérêt une autre morale, selon laquelle c'est d'abord par le sentiment et non le calcul que l'homo duplex vit, qu'il s'attache au monde et se lie aux autres hommes. [...]
[...] Telle est du moins l'idée de John Rawls, qui fait de sa Théorie de la Justice une réfutation systématique des positions utilitaristes, en renouvelant la discussion kantienne des philosophies du bonheur. Une première objection à l'encontre de la volonté d'ériger l'utilitarisme moral en politique pourrait être qu'en réduisant les personnes à de purs supports de plaisir et de déplaisir, une telle politique ne prendrait pas en compte les valeurs de la personne ou du sujet. De plus, le primat accordé à l'objectif selon lequel le but de la société serait de maximiser le bonheur, conduit à ne retenir comme critère de justice que la somme globale de bonheur atteinte par la communauté, dût-on, en raison de cet objectif, faire abstraction du bonheur particulier ou de la liberté de certains de ses membres. [...]
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