« C'est beau d'être vertueux, mais apprendre aux autres à l'être, c'est encore plus beau... et tellement plus facile ! » C'est par cette formule cinglante que Mark Twain met en relief à la fois la difficulté pour l'Homme à être vertueux et sa prétention à enseigner la vertu aux autres malgré ce défaut. Or, il semble que seul un mathématicien soit en mesure d'enseigner les mathématiques ; que seul un musicien soit en mesure d'enseigner la musique. Alors Protagoras, Hippias, et avec eux les sophistes, qui prétendent enseigner la vertu, sont-ils des hommes vertueux, virtuosi (du latin virtus : qualités qui font la valeur de l'homme moral) ? Savent-ils en quoi elle consiste précisément ? Est-il possible d'enseigner la vertu (du latin insignire : désigner, signaler), c'est-à-dire d'instruire quelqu'un en matière de vertu ? En d'autres termes, la vertu est-elle une discipline, une science ? Et si elle en est une, qui est en mesure de l'enseigner ? La question de la possibilité de l'enseignement de la vertu pose différentes difficultés qu'il s'agit d'analyser. Avant tout, et c'est la première difficulté que soulève Socrate dans le Ménon, il s'agit de savoir ce qu'est la vertu. En effet, comment est-il possible d'enseigner la vertu s'il est difficile d'en dégager une définition objective. La seconde difficulté, que Socrate soulève dans le Protagoras et dans le Ménon, est celle de savoir si la vertu est une science, au quel cas elle pourrait effectivement être enseignée. La troisième et dernière question que nous aborderons est celle de savoir si nous pouvons réellement parler d' « enseignement » en ce qui concerne la vertu.
[...] La définition que donne Aristote de la vertu est finalement la suivante : « la vertu est une médiété ». Elle est un juste-milieu entre le trop et le trop peu, « entre l'excès et le défaut », pour reprendre la terminologie de l'auteur. La vertu est une médiété, un juste-milieu, un équilibre à atteindre, qui porte la chose à sa perfection. Et pour Aristote, il existe deux sortes de vertu : les vertus intellectuelles, perfectionnant l'intelligence en vue de la contemplation, et qui sont soumises à la raison, et les vertus morales, perfectionnant le désir en vue de l'action, et qui possèdent et constituent la Raison. Dans ces dernières, l'auteur classe le courage, la tempérance, la générosité, la magnificence, la magnanimité, l'honneur, l'ambition, l'amabilité, la franchise et la pudeur.
[...] Mais avant d'analyser la thèse socratique de la vertu-science, examinée dans le Ménon et dans le Protagoras, il s'agit de comprendre que la première condition favorable à l'enseignement de la vertu, et que Platon comme Aristote considèrent comme valide, est le fait que la vertu n'est pas innée. Pour qu'elle puisse être une connaissance, et qu'elle puisse, plus largement, être enseignée, il faut effectivement considérer que la vertu est extérieure à l'homme. Dans le Ménon, une fois la proposition conditionnelle « si la vertu est connaissance, elle s'enseigne » vérifiée, Socrate examine les conséquences. La première conséquence évoquée est celle selon laquelle la vertu, si elle s'enseigne, n'advient pas aux hommes par nature : « si les hommes bons devenaient bons par nature, il devait exister chez nous, j'imagine, des personnes qui reconnaîtraient parmi les jeunes gens, ceux dotés de bonnes natures (...) les bons ne deviennent pas bons par nature » (Platon, Ménon, 89-b, GF-Flammarion, p.179). (...)
[...] Dans ce cas, comment s'enseigne la vertu ? Est-elle toujours susceptible d'être un objet d'enseignement ? Dans le Ménon, c'est effectivement la question que soulève Socrate, et à laquelle Anytos répond que la vertu s'acquiert, selon lui, par la tradition par l'imitation des parents, par l'usage. C'est aussi la thèse que soutient Aristote dans l'Ethique à Nicomaque, dans laquelle Aristote emploie le terme habitude : c'est en pratiquant les actions justes que nous devenons justes (Aristote, Ethique à Nicomaque, II bibliothèque des textes philosophiques, p.89). [...]
[...] Face à cette aporie, Socrate décide de poursuivre malgré tout l'examen proposé par Ménon : Peux-tu me dire, Socrate, si la vertu s'enseigne ? (Ménon, 70-a). Pour tenter de répondre à cette question, Socrate pose une hypothèse : l'hypothèse de la vertu-science. Mais avant d'analyser la thèse socratique de la vertu-science, examinée dans le Ménon et dans le Protagoras, il s'agit de comprendre que la première condition favorable à l'enseignement de la vertu, et que Platon comme Aristote considèrent comme valide, est le fait que la vertu n'est pas innée. [...]
[...] Or, il semble que seul un mathématicien soit en mesure d'enseigner les mathématiques ; que seul un musicien soit en mesure d'enseigner la musique. Alors Protagoras, Hippias, et avec eux les sophistes, qui prétendent enseigner la vertu, sont-ils des hommes vertueux, virtuosi (du latin virtus : qualités qui font la valeur de l'homme moral) ? Savent-ils en quoi elle consiste précisément ? Est-il possible d'enseigner la vertu (du latin insignire : désigner, signaler), c'est-à-dire d'instruire quelqu'un en matière de vertu ? [...]
[...] Socrate, dans le Protagoras est le Ménon, insiste sur le fait que la vertu est une ; cependant, il semble parvenir à la conclusion qu'elle n'est pas science. Comment une telle conciliation est-elle possible ? Socrate introduit pour cela la notion d'opinion vraie : il prend l'exemple d'un guide qui connaît une route pour l'avoir utilisée ; ce guide est un bon guide précisément parce qu'il connait la route. Mais un autre guide, qui n'a jamais été dans un endroit donné, pourra lui aussi être un bon guide s'il a une opinion vraie sur les choses que le premier guide connait. [...]
[...] Loin d'être en nous, il est même difficile de la concevoir. Cependant, le fait de tendre vers elle reste un devoir, et c'est ce que Kant explique à de nombreuses reprises dans l'introduction à la doctrine de la vertu : La vertu constitue un idéal et est inaccessible, quand bien même c'est pourtant un devoir de s'en rapprocher constamment (ibidem, p.256). La possibilité de l'enseignement de la vertu s'inscrit parfaitement dans la lignée de la philosophie kantienne, qui considère que c'est l'éducation qui fait que l'Homme est homme. [...]
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