Dans la perspective moderne de Sartre, la position est encore plus radicale que celle de Descartes. La vérité à laquelle je ne peux pas m'aveugler n'est pas d'abord celle de ma pensée, mais celle de ma liberté. Avant même de pouvoir penser, il faut que je m'éprouve libre, c'est-à-dire un pur vide, un néant. Le mensonge à soi est alors de se voiler cette vérité initiale et constitutive de ce que je suis en tant qu'homme, du moins autant que je crois le pouvoir.
[...] Puis-je alors me mentir à moi-même ? Puis-je être à la fois celui qui sait la vérité et se la dissimule ? La contradiction semble presque conduire à une absurdité. Pourtant, je fais l'expérience de ce mensonge quotidiennement, comme si j'étai double, comme si je me laissais volontiers tromper en toute connaissance de causes. D'où vient que cela est possible ? Est-ce dû à une structure psychologique ou simplement à l'absence d'exigence, dans ma vie quotidienne, de la vérité ? [...]
[...] La vérité n'est pas dans les choses, mais dans le discours qu'on produit librement : le romancier est alors celui qui dit la vérité. La vérité comme réalité est dans les œuvres d'art. S'il y a toujours une vérité du monde, celle-ci perd alors de sa valeur : elle devient sans intérêt et mérite seulement que je m'en détourne. En effet, que vaut la vérité ? N'est-ce pas une illusion de la morale et une vaine prétention de la science ? [...]
[...] Je ne mens pas pour rien, mais en vue de satisfaire des intérêts divers, le plus souvent personnels. Mes intérêts se substituent donc à la valeur de la vérité. Je fais passer avant elle d'autres valeurs telles que la réussite d'un projet ou la préservation d'un état, ou encore l'amour de l'illusion et de l'apparence. J'aménage et j'arrange la réalité en vue de mes objectifs ou de mon confort psychologique. La raison en est d'abord que la vérité n'est pas une évidence et qu'elle se dissimule le plus souvent à mes yeux et à ma raison. [...]
[...] De manières différentes, on peut développer les thèses de Nietzsche (la vérité de la nature de l'homme dans l'expression de sa volonté de puissance) et de Bergson (la vérité est surgissement du moi profond, original et qui permet d'être en contact immédiat avec la réalité). [...]
[...] Quelque chose qui fondamentalement résiste ? Une fois intérieure et intime de laquelle je ne puisse pas douter ? Suis-je condamné à douter de tout et à ne voir dans la réalité que des apparences subjectives et changeantes ? N'y a-t-il pas une ultime attache qui me retienne de tomber complètement dans le monde fluctuant des apparences ? Si je peux douter du réel, je ne peux pas douter de ma conscience, ni que je suis libre. La vérité qui m'est donnée dans l'évidence, c'est que je suis libre, c'est-à-dire que je ne suis jamais que ce que je choisis d'être sans jamais l'être durablement puisque je me choisis sans cesse autre. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture