Stendhal évoquait les artistes sous le nom de « happy few », c'est-à-dire d'heureux élus, faisant de l'artiste un homme au-dessus des hommes, touché par une force supérieure, qu'elle soit divine ou naturelle. Cette conception de l'artiste, créateur de génie, comme d'un homme privilégié, nous semble généralement acceptée. Mais comment justifier une telle conception de l'artiste ? Ne pouvons-nous pas supposer qu'en invoquant un "don" inexplicable, en distinguant l'artiste des autres hommes, nous renonçons au concept de nature humaine pour invoquer une sorte de force supérieure déterministe ? (...)
[...] Mais peut-on réellement, après avoir reconnu leurs similarités, identifier ce type de création à une création artistique ? Nous pourrions le supposer puisque c'est à travers cette création que l'artiste donne sens à son œuvre comme l'homme à sa vie : ainsi l'œuvre d'art serait le seul objet extérieur à l'homme dont nous pourrions dire que son essence ne précède pas son existence. Cependant contrairement à l'homme, nous ne pouvons pas dire de l'œuvre d'art que son existence précède son essence : l'œuvre d'art est l'objet ou existence et essence existent simultanément, à chaque étape de l'œuvre. [...]
[...] En effet l'artiste n'a pas accès à un plus haut niveau mais à une plus large perception, ne signifiant pas qu'il abandonne notre niveau de perception, mais bien qu'il y ajoute ce que nous ne percevons pas. L'homme part généralement d'un constat faussé, l'empêchant même d'essayer d'élargir sa vision des choses. Mais une fois le véritable constat établi, comment comprendre que certains accèdent à cette perception plus vaste ? Qu'est-ce qui rend l'artiste si particulier par rapport aux autres hommes ? [...]
[...] La particularité de l'artiste semble recouvrir de nombreux domaines, mais le plus évident demeure le rapport entre l'artiste et l'Art. En effet l'artiste est celui qui a une relation particulière à son Art, qu'il considère comme véritable Art et qu'il dissocie radicalement de tous les comportements banals de l'homme. L'artiste n'est pas dans la quête de l'utilité, son action, sa démarche artistique est purement désintéressée, elle n'est liée qu'au perfectionnement de son art, sans autre but ou intérêt. Ainsi dans une société où toutes nos actions visent à l'utilité, et même pour un grand nombre d'entre eux à la rapidité et à la rentabilité (que ce soit en temps, en efforts, en argent, en investissement émotionnel) l'action inutile s'inscrit dans une démarche profondément différente, en marge du mode de vie contemporain. [...]
[...] Nous pouvons donc voir que chez l'artiste créateur il existe une part de génie inné, qui est définie par Kant comme un don de la Nature : ce génie inné demeure inexpliqué dans ses causes mêmes puisque Kant évoque son apparition et sa disparition comme un phénomène isolé apparaissant chez le vivant et s'éteignant avec lui sans causes extérieures Cependant en limitant notre définition de l'artiste à ceux que la nature a doué pour les Beaux Arts ne sommes-nous pas en train de limiter notre vision de la notion d'artiste ? Est-il possible de voir l'artiste comme un créateur, ne se limitant donc pas aux Beaux Arts mais s'ouvrant à tout domaine de création ? Si nous définissons l'artiste comme celui qui s'exerce à tout processus de création, il semble aisé de supposer que tout homme possède une capacité créatrice intérieure et, donc, un potentiel d'artiste. [...]
[...] C'est ici la particularité de l'artiste d'être totalement dévoué à son Art qui semble l'avoir frappé de plein fouet comme une nécessité absolue, parfois même un fardeau mais cependant un fardeau qui lui est absolument inévitable. Mais d'où vient que certains soient ainsi frappés tandis que la grande majorité des hommes ne connaissent pas cette relation particulière ? Et surtout d'où vient cette capacité à se faire voyant qui semble toucher tous les grands artistes ? Cette autre conception de la réalité est précisément vision, c'est-à-dire perception, la particularité de l'artiste étant d'accéder à ce que nous considérons comme un plus haut niveau de perception que celui de la majorité des hommes. [...]
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