Il est d'usage d'évoquer "les croyances" comme un corpus de pensées ou de propositions qui sont l'objet d'un potentiel assentiment quant à leur vérité : peuvent ainsi s'appeler des croyances les propositions qui énoncent que la terre tourne autour du soleil, que les âmes ressuscitent après la mort selon un destin qui dépend de leur conduite sur terre ou encore que telle chose est pourvue d'une valeur absolue. Ces propositions sont des croyances, dit-on, pour qui affirme leur vérité auprès de lui-même et sans doute auprès des autres hommes, et se montre prêt à agir en conformité avec ce qui est affirmé ; cette affirmation, essentielle pour une croyance, implique de pouvoir être tout aussi bien mise en cause : en tant qu'affirmation, toute croyance est susceptible d'être niée par une croyance adverse ou contradictoire.
[...] Il ne s'agit pas, dans ce contexte philosophique, disqualifier pour les autres les valeurs et les croyances que l'on disqualifie pour soi ; l'on peut par contre les juger d'une autre façon que celle de la perspective rationnelle, à partir du concept de vie. Si c'est la vie qui a besoin d'adopter valeurs et croyances, alors l'on peut juger de la valeur de ces croyances selon le type de vie qui en a besoin : si c'est la vie qui crée les valeurs pour augmenter sa puissance, alors la plus haute valeur sera celle de la vie la plus puissante et la plus capable de créer. [...]
[...] De manière plus générale, Platon définit l'être de chaque chose comme sa vertu : ce qu'elle fait le mieux ; mais « vertu » prend aussi le sens de ce qui est meilleur pour chaque chose. Par exemple, la fonction de l'âme est de viser l'intelligible ; donc ce qui est meilleur pour elle, en tant que ce qui la rend la plus conforme à elle-même, c'est d'accomplir cette fonction, donc d'exercer le logos. Sinon, si elle ignore son bien et ne s'y conforme pas, elle n'est pas tout à fait elle-même : elle est moins proche de son bien quand elle s'écarte de son essence. [...]
[...] Wittgenstein réhabilite ainsi la distance et l'incommensurabilité entre nos « croyances », que la raison voulait au contraire vouloir rendre commensurables en les rassemblant sous son autorité. C'est ainsi que la raison, par définition, permet de juger les croyances, c'est là sa finalité ; mais refuser son autorité, pour une croyance, ce ne serait pas refuser la raison, en obscurantiste, mais plutôt cultiver sa distance, son décalage de niveau, par rapport à elle, et engager le combat avec elle par la grandeur de la perspective proposée. [...]
[...] Mais nous venons de voir que c'est justement la raison pour laquelle il structurellement interdit de croire quelque chose au-delà des limites de la sensibilité. La raison n'est pas elle-même limitée, mais son application est limitée à ce que la sensibilité peut recevoir a priori ; donc si quelqu'un énonce qu'il croit que « le moi est une substance immortelle », il ne juge en fait de rien ; de même, l'on peut bien croire en l'existence de Dieu, ce ne sera même pas faux, mais sans objet. [...]
[...] C'est pourquoi si l'on fait tomber la raison de son surplomb judiciaire, l'on est forcé de réfléchir à nouveau à ce qu'est une croyance, si elle n'est plus ce corollaire de l'autorité de la raison. Les discours n'ont pas forcément le statut de croyance non évaluée et prête à l'être, mais que fait-on lorsque l'on affirme croire quelque chose, alors ? C'est avec Wittgenstein que se voit interrogée à nouveau la notion de croyance dans son rapport avec la raison, une fois ces deux perspectives remises au même niveau. [...]
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