« La jeunesse est une chose charmante ; elle part au commencement de la vie couronnée de fleurs comme la flotte athénienne pour aller conquérir la Sicile et les délicieuses campagnes d'Enna. La prière est dite à haute voix par le prêtre de Neptune : les libations sont faites avec des coupes d'or ; la foule, bordant la mer, unit ses invocations à celles du pilote : le péan est chanté, tandis que la voile se déploie aux rayons et au souffle de l'aurore. Alcibiade, vêtu de pourpre et beau comme l'Amour, se fait remarquer sur les trirèmes, fier des sept chars qu'il a lancés dans la carrière d'Olympie. » Cet extrait des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand reflète bien le culte dont la jeunesse bénéficie dans le mouvement romantique. Séduction et force physiques, audace, dynamisme, Alcibiade en incarne toutes les vertus cardinales.
[...] Cette expérience de la vieillesse, cette sérénité permettraient aux plus âgés de jouir de la vie plus sûrement que leurs enfants, encore fébriles et impatients, incapables de profiter du temps présent. Sénèque décrit ainsi les douceurs de la vieillesse dans ses Lettres à Lucilius, afin d'empêcher son correspondant de succomber à la nostalgie de sa jeunesse révolue et à la crainte de la mort. Eh bien, faisons-lui bon accueil à cette vieillesse, aimons-la : pour qui sait en jouir, la vieillesse est pleine de douceurs. [...]
[...] Dans ce contexte, le grand âge, la sénescence tendent également à devenir tabous, dans la mesure où ils préfigurent l'imminence du trépas, et rappellent la brièveté de la vie. La jeunesse apparaît au contraire comme l'âge le plus enviable, promesse d'énergie, d'inventivité et de fougue La vieillesse souffre d'une image négative, notamment dans la mesure où les vertus qui lui sont attachées sont, dans nos sociétés modernes, faiblement valorisées. Un certain nombre de qualités sont associées traditionnellement au grand âge. La vieillesse serait ainsi l'âge de la sagesse et de l'expérience. D'où l'autorité symbolique dont sont investis les vieillards dans les sociétés traditionnelles. [...]
[...] Le thème de la personne âgée jalouse de la jeunesse et souhaitant lui barrer la voie est également un thème littéraire récurrent. Ainsi dans La Fugitive de Proust, le narrateur croise à Venise Mme de Villeparisis et son vieil amant, M. de Norpois, diplomate en rupture de cour, tenu à l'écart du maniement des affaires, et n'ayant pas de mots trop durs contre ses jeunes collègues : Il est hors de doute, si le Gouvernement a le manque de sagesse de remettre les rênes de l'État en des mains turbulentes, qu'à l'appel du devoir, un conscrit répondra toujours présent. [...]
[...] La jeunesse ne serait en définitive qu'une agitation vaine et stérile, embesognement pour l'embesognement comme le note Montaigne, excitation sans relâche qui empêcherait l'homme de savourer l'instant présent sans se soucier de l'avenir. Or ces vertus traditionnellement attachées à la vieillesse souffrent d'une relative désaffection. Depuis la Renaissance, la modernité repose en effet sur une foi dans le progrès qui aboutit à ébranler l'autorité de la tradition, et partant de ceux qui en sont les dépositaires, les anciens. Ceux-ci semblent parfois évalués à l'aune de leur capacité à rester jeunes, et non plus appréciés pour l'expérience qu'ils ont accumulée. [...]
[...] Les classifications par âge reviennent toujours à imposer des limites et à produire un ordre auquel chacun doit se tenir, dans lequel chacun doit se tenir à sa place. L'âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable ; et le fait de parler des jeunes comme d'une unité sociale, d'un groupe constitué, doté d'intérêts communs, et de rapporter ces intérêts à un âge défini biologiquement, constitue déjà une manipulation évidente. Autrement dit, c'est par un abus de langage formidable que l'on peut subsumer sous le même concept des univers sociaux qui n'ont pratiquement rien de commun. [...]
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