"Pour Lola, la France demeurait une entité chevaleresque aux contours peu définis dans l'espace et le temps, mais en ce moment dangereusement blessée et à cause de cela même très excitante", écrit Bardamu, le héros du Voyage au bout de la nuit, qui rapporte ici la très haute opinion que se fait une Américaine de la France de la Grande Guerre, perçue comme une entité romantique et vertueuse. Clemenceau, en des termes plus sobres, accrédite également à travers cette citation, extraite d'un discours prononcé le 11 novembre 1918, la conviction que la victoire française était celle du droit et de la justice face à l'agression allemande, et que la France s'était donc placée sous la bannière de l'idéal. Au-delà de ses circonstances historiques, ce message s'inscrit dans une tradition lointaine, assignant à la France une destinée singulière et exceptionnelle. Cette conviction, héritée de son histoire, et pour être plus précis de son historiographie, conduit volontiers la France à s'ériger en modèle vis-à-vis des autres nations, attitude bien souvent interprétée comme un complexe de supériorité. Flaubert raille cet état d'esprit cocardier dans son Dictionnaire des idées reçues, où il écrit à la définition du mot "étranger" : "Engouement pour tout ce qui vient de l'étranger, preuve d'esprit libéral. Dénigrement de tout ce qui n'est pas français, preuve de patriotisme" ; et à la définition "Français" : "Le premier peuple de l'univers."
[...] Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. II. L'idéalisme français tient largement à la littérarisation de sa culture politique, imprégnée par la foi des gens de lettres dans le caractère général des solutions abstraites qu'ils préconisent, et la France, à défaut de pouvoir encore en être le soldat, continue à s'exprimer au nom de l'universel. A. En France, les chefs de partis sont bien souvent des gens de lettres acquis au cartésianisme et faiseurs de systèmes Comment, vers le milieu du XVIIIe siècle, les hommes de lettres devinrent les principaux hommes politiques du pays, et des effets qui en résultèrent Tocqueville dans L'Ancien Régime et la Révolution, s'interroge sur la réputation qu'ont les Français de poursuivre en politique des idéaux universels : J'ai entendu affirmer que le goût ou plutôt la passion que nous avons montrée depuis soixante ans pour les idées générales, les systèmes et les grands mots en matière politique, tenait à je ne sais quel attribut particulier à notre race, à ce qu'on appelait un peu emphatiquement l'esprit français : comme si ce prétendu attribut eût pu apparaître tout à coup vers la fin du siècle dernier, après s'être caché pendant tout le reste de notre histoire. [...]
[...] Ils se révoltent à l'idée que l'empereur allemand qualifie la France de province de l'empire, et le roi de roitelet. George Duby dans Le Dimanche de Bouvines insiste sur l'importance que revêtit progressivement cette journée, le 27 juillet 1214, dans l'histoire légendaire de la nation : Philippe ne combat pas pour lui- même, mais pour une cause, celle de tous les enfants de France. L'enjeu du combat singulier n'est plus l'héritage d'un souverain, n'est pas seulement la répression des superbes et des hérétiques, mais le destin d'une nation, élue pour diriger le monde. [...]
[...] Dans son Introduction à l'histoire universelle, Michelet s'emploie à démontrer la supériorité de la nation française en soulignant que c'est le pays où l'empreinte de l'homme est la plus profonde, et où la nature, maîtrisée et domestiquée, exerce le moins pesamment son joug : Avec le monde a commencé une guerre qui doit finir avec le morale, et pas avant; celle de l'homme contre la nature, de l'esprit contre la matière, de la liberté contre la fatalité. C'est l'action de la volonté et de la liberté qui a permis à la France de se dégager d'une mosaïque de climats, de reliefs, de peuples, de coutumes. [...]
[...] La France est à ce titre une mosaïque de provinces, de climats, de coutumes et de races, un amalgame de tous ces éléments. Et l'historien de dresser ce constat : Le mélange, imparfait dans l'Italie et l'Allemagne, inégal dans l'Espagne et dans l'Angleterre, est en France égal et parfait. Que la France ait pu naître de la synthèse d'une telle diversité, c'est cette opération de la volonté des hommes qui intrigua et fascina cette génération d'historiens du début du XIXe siècle, dont la problématique commune est ramassée par Vidal de la Blache dans cette interrogation tirée de son Tableau de la géographie de la France : Comment un fragment de la surface terrestre qui n'est ni péninsule ni île, et que la géographie physique ne saurait proprement considérer comme un tout, s'est-il élevé à l'état de contrée politique et est-il devenu enfin une patrie ? [...]
[...] Godefroi de Bouillon pas été nommé roi de Jérusalem, sous le titre d'Avoué du Saint-Sépulcre ? C'est d'ailleurs à Clermont qu'Urbain II donna le signal de la première croisade (1095), et à Vézelay que Saint Bernard prêcha la reconquête des Lieux saints. La France est en outre le principal pays des missionnaires envoyés évangéliser les colonies, les peuples idolâtres d'Afrique et d'Asie, comme le rappelle René Rémond dans son article sur La France, fille aînée de l'Église (in Les Lieux de mémoire) : C'est surtout, après la tourmente révolutionnaire que la France devint la nation missionnaire par excellence, la première en nombre comme par l'étendue : les trois quarts des prêtres, des religieux et des religieuses qui partent d'Europe à la conquête spirituelle des autres continents sont français. [...]
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