Pour les Grecs, qui inventent le mot, l'Europe n'est qu'un lopin de terre, qui se perd au Nord dans les brumes et, à l'Est, s'arrête au Tanais, c'est-à-dire au Don. Aujourd'hui, elle désigne toujours un territoire, compris entre l'océan Arctique au Nord, l'océan Atlantique à l'Ouest, la Méditerranée et ses annexes, ainsi que, traditionnellement, la chaîne du Caucase au Sud, la mer Caspienne et l'Oural à l'Est. Selon une formule de Nietzsche, copiée par Valéry, l'Europe n'est que la « petite presqu'île de l'Asie ».
Il faut attendre le VIIIe siècle après J.-C. pour que l'Europe passe du champ géographique au domaine culturel. En 769, un chroniqueur espagnol, Isodore le Jeune présente les troupes de Charles Martel à Poitiers comme une armée « d'Européens ». Au siècle des Lumières, cette solidarité culturelle entre les hommes d'Europe devient une idée reçue. Même Voltaire et Rousseau s'accordent sur ce point. Si le Français s'en réjouit, le Genevois se désole qu'il n'y ait « plus aujourd'hui de Français, d'Allemands, d'Espagnols, d'Anglais même, quoi qu'on en dise : il n'y a plus que des Européens (...)
[...] Ce tourbillon culturel résiste à tous les efforts de définition. Certains penseurs croient se tirer d'affaire par une sorte de pirouette théorique. Ce qui nous définirait, en somme, c'est la difficulté voire l'impossibilité de nous définir. Les amateurs de jargon sociologique soutiendront avec Morin que c'est la dialogique qui est au cœur de l'identité culturelle européenne B. Un point doit cependant échapper à ce scepticisme. L'Europe occidentale fonde la science moderne. Henri Poincaré définit la gloire la plus certaine et la plus personnelle de notre esprit comme l'ensemble des recettes qui réussissent toujours La puissance qui en résulte nous permet de conquérir le reste du monde. [...]
[...] de culture européenne, tout européenne, rien qu'européenne. Au demeurant, il est rare que les frontières d'une culture épousent exactement la figure d'une entité géographique, a fortiori quand ses frontières orientales résultent de conventions décrétées par Pierre le Grand au XVIIIe siècle. La culture européenne apparaît donc comme une invention qui souvent traduit ou trahit la personnalité du penseur. Un Drieu La Rochelle ou un Romain Rolland s'imagine-t-il celte ? Il dessine une Europe tournée vers le Nord et traversée par le Rhin. [...]
[...] Un esprit libre ne sera pas dupe de cette culture européenne dont les représentants éminents sont tous nés très à l'Ouest de l'Elbe. Mais il sait qu'une illusion peut être féconde. L'Europe de l'Atlantique à l'Oural n'a jamais été une communauté de culture ? Ce mythe culturel doit certainement favoriser la volonté de constituer une communauté de destin. Indications bibliographiques Première approche : Edgar Morin, Penser l'Europe, Gallimard, coll. Folio / Actuel Ouvrage de référence : Jean-Baptiste Duroselle, L'idée d'Europe dans l'histoire, Denoêl Point de vue : Julien Benda, Discours à la nation européenne, Gallimard, coll. [...]
[...] Comme le rappelle Edgar Morin dans Penser l'Europe, une culture peut se définir, soit par des origines fondatrices, soit par des caractéristiques essentielles. Or il n'existe pas d'origines culturelles communes à tous les Européens. Il n'existe pas davantage d'attributs qui les caractériseraient tous et les distingueraient des non-Européens. I. La recherche des origines démontre qu'il n'existe pas de culture européenne, mais une culture occidentale. A. Une culture consiste en un capital composé de mots, d'idées, de mythes, d'œuvres, de pratiques, d'instruments, de techniques. Ce capital constitue aussi un héritage, qui définit un groupe d'hommes. [...]
[...] Comment en revanche ne pas s'égarer parmi les souvenirs de romans, de musiques, de films américains ? Au sujet du passé, on peut donc être catégorique. À aucun moment, proche ou lointain, de l'histoire, les peuples d'Europe n'ont partagé les mêmes influences culturelles. Jamais une culture ne s'est confondue avec le petit cap de l'Asie. D'innombrables relations de pensée, d'art, de science, de politique, de commerce ont en revanche lié les peuples d'Europe occidentale. Elles ont fini par produire un esprit et une culture caractéristiques. [...]
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