Différents modes d'expression ont participé de la diffusion de la philosophie des Lumières; contes philosophiques, fictions épistolaires, et dictionnaires (dont la floraison indique le goût du XVIIIe siècle pour les sommes) comptent parmi les genres les plus exploités par les tenants de l'esprit critique.
Si Voltaire s'est essayé avec succès à chacune de ces mises en forme du discours philosophique, P. Rétat met en évidence le caractère particulièrement concordant de la pensée voltairienne et du compte rendu alphabétique tel que l'illustre le Dictionnaire philosophique (édition de 1769): « L'article est le mode d'expression idéal de sa pensée, de sa métaphysique, de sa vision du monde » écrit-il dans « Concept et discours du dictionnaire », revue d'histoire littéraire de la France. Le « pot pourri » comparable aux Essais de Montaigne que constitue, selon René Pomeau, le « Portatif », correspondrait à l'esprit d'examen de celui qui est tour à tour homme de lettres, producteur intellectuel et acteur social. La tendance de l'esprit voltairien à penser par article déjà mentionnée par Pomeau s'expliquerait par la force critique de l'écriture parcellaire qui « réalise la destruction la plus fondamentale de tout système, [il] suggère [à lui seul] l'incohérence des croyances , des religions, des philosophies, et du monde même » tout en faisant prévaloir ses idéaux d'émancipation intellectuelle: l'article « réaffirme, en un combat incessant, les mêmes vérités auxquelles tient Voltaire, même s'il doute parfois de certaines, les mêmes appels à la raison, à la tolérance, et à l'humanité. »
En quoi la poétique de l'article s'inscrit-elle dans une démarche d'engagement philosophique en accord avec la pensée et les modes de discours de Voltaire? Comment réalise t-il le programme énoncé dans la préface du Dictionnaire d'un livre mêlant « le sérieux, la clarté et l'agrément »? Pourquoi l'article est-il une forme adaptée à la réflexion personnelle, autonome, indépendante de tout système religieux, philosophique, ou moral? Enfin, le choix de l'écriture brève et contextuelle du Dictionnaire permet-il de lutter efficacement contre les préjugés et ainsi répondre au projet des Lumières?
Un premier temps de la réflexion visera à montrer en quoi l'article est un choix formel au service de l'esprit critique. Nous soulignerons ensuite la dimension heuristique de l'article en tant qu'abrégé de la vision métaphysique, morale de Voltaire dérivée de la Raison. Un dernier temps de notre réflexion sera consacré à la dimension opératoire de l'arme idéologique que prétend être le Dictionnaire.
[...] Le discours philosophique des Lumières : Voltaire et le Dictionnaire philosophique (1764) Différents modes d'expression ont participé de la diffusion de la philosophie des Lumières; contes philosophiques, fictions épistolaires, et dictionnaires (dont la floraison indique le goût du XVIIIe siècle pour les sommes) comptent parmi les genres les plus exploités par les tenants de l'esprit critique. Si Voltaire s'est essayé avec succès à chacune de ces mises en forme du discours philosophique, P. Rétat met en évidence le caractère particulièrement concordant de la pensée voltairienne et du compte rendu alphabétique tel que l'illustre le Dictionnaire philosophique (édition de 1769): L'article est le mode d'expression idéal de sa pensée, de sa métaphysique, de sa vision du monde écrit-il dans Concept et discours du dictionnaire revue d'histoire littéraire de la France. [...]
[...] Catéchisme chinois Le critère d'utilité, plus que la vérité, fonde l'éthique de Voltaire qui s'intéresse aux conséquences de la métaphysique dans la vie pratique : pour agir, l'homme doit avoir une place bien déterminée dans un monde bien défini. Voltaire offre à l'homme une morale à sa taille en l'invitant à être tolérant et à lutter contre les perversions qui étouffent la loi naturelle. De cette morale dépendent le bonheur de chacun, la paix civile et la prospérité économique. Le second temps de notre réflexion valide le propos de P. Rétat selon lequel Voltaire défend, au-delà de son travail de déconstruction des préjugés, des vérités. [...]
[...] Cet art de la mosaïque auquel Voltaire donne sa propre orientation est emblématique de son rejet des systèmes de pensée Chaque article est témoin d'une méthode, d'un mode d'appréhension des corrélations entre les options philosophiques de Voltaire et l'écriture parcellaire commente C. Mervaud. L'article exprime à lui seul l'incohérence du monde: l'analyse alphabétique, en juxtaposant, tend à dissoudre les relations, à suggérer la discontinuité des objets et des champs du savoir, la facticité d'une langue et d'un code; en harmonie avec une philosophie fixiste de la nature elle ignore ou élude l'Histoire, considérée comme absurde puisque régie par la déraison. [...]
[...] Dans l‘article Guerre Voltaire se désole du pouvoir criminel des religions révélées en général: la religion naturelle a mille fois empêché des citoyens de commettre des crimes. Une âme bien née n'en a pas la volonté [ ) mais la religion artificielle encourage à toutes les cruautés [ ] chacun marche gaiement au crime sous la bannière de son saint. De même, l'article secte défend l'idée que scottistes, thomistes, réaux, nominaux, papistes, calvinistes molinistes, jansénistes, ne sont que des noms de guerre L'article Torture» achève de dénoncer les horreurs de la foi qu'il énumère avec une distanciation grinçante:« la Providence nous met quelques fois à la torture en y employant la pierre, la gravelle, la goutte, le scorbut, la lèpre, la vérole grande ou petite, le déchirement des entrailles, les convulsions des nerfs et autres exécuteurs de la vengeance de la Providence La discorde est le grand mal du genre humain, et la tolérance en est le seul remède Tolérance»); Voltaire prône une tolérance universelle (dont les promoteurs sont le commerce, Julien le philosophe, Descartes, et le gouvernement) qui se fonde sur la liberté de penser, la vertu, la religion morale: elle procède d'un sentiment vif de l'universalité et vise à rejoindre, par-delà les diversités de race, de religion, de civilisation, la loi naturelle conçue comme le fonds commun de l'humanité. [...]
[...] L'écriture fragmentaire ou le refus de la pensée systématique Les divers systèmes sur la nature de l'âme, sur la grâce, sur des opinions métaphysiques, qui divisent toutes les communions, peuvent être soumis à l'examen : car, puisqu'ils sont en contestation depuis dix-sept années, il est évident qu'ils ne portent point avec eux le caractère de certitude; ce sont des énigmes que chacun peut deviner selon la portée de son esprit écrit Voltaire dans la Préface du Dictionnaire. L'article, outil analytique qui éparpille et tend à dissoudre le sens, permet de déconstruire les systèmes religieux, philosophique et métaphysique qu'il entremêle parfois (l‘article Âme convoque et mélange à dessein les références philosophiques et théologiques). Voltaire souhaite désorganiser l'édifice de la tradition, en particulier l'histoire providentielle et divine qui fonde la religion judéo-chrétienne. [...]
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