“Mon nom est 174517” écrit Primo Levi dans son témoignage intitulé "Si c'est un homme". Perdre sa dignité comme en cette année passée à Auschwitz, c'est donc perdre, parce qu'on nous en prive ou parce qu'on s'en prive soi-même, ce respect accordé à tout être humain, parce qu'il est un être humain, une personne morale, un sujet de droits, c'est-à-dire conscient de lui-même et de sa valeur, et conscient de cette humanité dans le regard qu'un autre homme pose sur lui.
Faut-il en déduire que la dignité n'est pas a priori humaine au sens où tout homme serait digne d'emblée, mais qu'elle l'est a posteriori lorsque l'homme se rend digne de sa nature d'exception au sein de l'ordre du monde par ses actes ? Mais n'est-ce pas distinguer trop aisément deux types d'humanité (maîtres et esclaves, oppresseurs et opprimés, civilisés et barbares, patrons et “masse salariale”)? Un homme dégénéré (tel est le mot qu'employait Hitler), criminel, odieux n'a-t-il aucun droit à ce respect qui fonde la dignité humaine ?
[...] A la fois cause et effet du mouvement par lequel l'homme devient sujet moral, la dignité désigne autant la nature spirituelle de l'homme, donc la cause de ce mouvement, que l'attitude pratique, le respect de toute personne humaine, qui est comme l'effet de ce mouvement. Que la dignité soit à chercher dans une origine divine, une grâce, un don de Dieu ou dans la postulation de droits naturels humains inaliénables, la dignité renvoie à une certaine idée de l'homme, de sa condition, qui le distingue des autres êtres et le rend seul capable de concevoir pour ses êtres (animaux, vivant en général) cette dignité qui nous les fait considérer avec respect. [...]
[...] Autre conséquence, puisque la dignité est incomparable, l'on ne peut dire qu'une personne a plus de dignité qu'une autre, comme on dirait qu'un objet a plus de marchand qu'un autre. La dignité humaine ne peut être comprise en termes quantitatifs. Toute personne est digne, du fait même qu'elle est une personne. Ainsi, même si une personne peut perdre sa dignité de citoyen, c'est-à-dire son statut civique en commettant de graves délits, une personne ne peut se voir privée de tout respect en tant qu'être humain. [...]
[...] La dignité est donc co-extensive à la nature spirituelle de l'homme, elle est donc strictement humaine si tant est que l'on admet que les animaux ne pensent pas. La dignité est par nature humaine, et c'est par là même qu'elle distingue l'homme de toutes les autres créatures, si bien que l'expression “dignité humaine” semble relever du pléonasme. Il y aurait donc une nature humaine dont la singularité justifierait le respect qu'on lui doit a priori, du fait de ce don divin qui lui a été fait de penser. [...]
[...] L'estime que l'homme doit avoir de lui-même et de ses pairs ne saurait se transmuer en orgueil sans perte de cette dignité -n'est-ce pas le sentiment orgueilleux de la supériorité de la race aryenne qui entraîne dans l'inhumanité les dignitaires et autres exécutants de la politique du III° Reich Pourquoi dénoncer l'orgueil qui fonde à tort l'estime de soi et la dignité ? D'abord parce que la dignité est à conquérir : il faut penser et il faut chercher à s'élever, à sculpter sa propre statue. C'est-à-dire qu'il faut se rendre digne de cette dignité. [...]
[...] La dignité au contraire est une sorte de valeur invariable attribuée à la personne parce qu'elle est une personne. Autrement dit, l'être humain ne saurait être réduit à sa fonction, à ce qu'il représente, à son travail, à son statut social, à sa popularité, à son utilité pour les autres, car ces facteurs, eux, sont variants. Ainsi, un homme déchu de son statut, de son métier n'est pas rien même si le regard d'autrui et le regard qu'il porte sur sa proche chute semblent lui indiquer le contraire. [...]
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