En 2000, les dirigeants et parlementaires de l'Europe se sont attachés à l'écriture d'une Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne. Dans le préambule, on souhaitait renvoyer à un héritage partagé par tous, pour en dégager des « valeurs communes ». Il y eut alors débat : certains envisagèrent de mentionner un legs chrétien, un bagage de principes donnés par Dieu et ses apôtres à un continent qui, à une époque, leur était presque entièrement acquis. Plutôt, on opta pour l'expression de « patrimoine spirituel » ; cette expression semble réaffirmer le principe, dominant dans les esprits aujourd'hui, de laïcité (neutralité et autonomie absolue du pouvoir politique vis-à-vis du religieux), et rappeler qu'une partie de l'histoire des idées s'est écrite, sur le vieux continent, sans l'apport direct de Dieu. La modernité politique et philosophique dont nous récoltons encore les fruits ne lui serait donc pas totalement tributaire. Historiquement, l'examen simultané de l'avènement de la modernité et de l'évolution de la place de Dieu dans les esprits (des plus éclairés aux illettrés) permet de comprendre les rapports qu'ont entretenu le divin et le moderne, et d'expliciter un peu la situation actuelle. Evidemment, les regards convergent vers le siècle de la naissance de la modernité, le XIXe siècle – borné, ici, par 1789 et 1914 – mais ne couvrent ici que l'Europe, exception faite de la Russie. Que s'est-il passé pour que Dieu, omniprésent dans les grands textes européens pendant plus de mille ans, soit ainsi évité dans la Charte de 2000 ? Friedrich Nietzsche, toujours détenteur de l'aphorisme lapidaire, affirme en 1882 dans Le Gai Savoir que « Dieu est mort ». Nous nous contenterons de voir dans son propos une hypothèse. La modernité a-t-elle tué Dieu au XIXe siècle ? Par la modernité, il faut comprendre les idées et caractères (socioculturels, politiques, institutionnels, etc.) qui marquent l'Europe du XIXe, qui consacrent une rupture avec sa personnalité d'Ancien Régime, et qui continuent dans une certaine mesure de la définir aujourd'hui. Par Dieu, il faut entendre la figure tutélaire chrétienne, créatrice de toute chose sur Terre et en qui on place sa foi – Dieu est lié à la religion, mais ne peut y être réduit. Quant à sa mort, elle impliquait pour Nietzsche au moins deux choses : le rejet d'un certain « ordre des choses », d'une certaine conception de l'univers ; et la destruction des codes qui régissaient le fonctionnement de la société, de la politique et de l'individu.
[...] En somme, si Dieu connaît un franc succès dans ses tentatives d'étendre son influence, c'est à travers les missions colonisatrices menées fin XIXe début XXe. Dans les nouvelles colonies, les missionnaires comme Albert Schweitzer (protestant lorrain parti en Afrique noire) peuvent s'adresser, au nom de Dieu, à des populations entières. En 1900, la France compte plus de 300 sociétés missionnaires, souvent pluriconfessionnelles, ce qui montre bien le triomphe de Dieu (au-dessus des divisions de ses fidèles) au sein de cette entreprise. [...]
[...] La modernité a-t-elle tué Dieu au XIXe siècle ? Par la modernité, il faut comprendre les idées et caractères (socioculturels, politiques, institutionnels, etc.) qui marquent l'Europe du XIXe, qui consacrent une rupture avec sa personnalité d'Ancien Régime, et qui continuent dans une certaine mesure de la définir aujourd'hui. Par Dieu, il faut entendre la figure tutélaire chrétienne, créatrice de toute chose sur Terre et en qui on place sa foi Dieu est lié à la religion, mais ne peut y être réduit. [...]
[...] Le socialisme se détachera alors du catholicisme social ; au final, pour Karl Marx, il faut combattre l'illusion théiste (Jean-Marc Tétaz) qui masque au peuple la réalité d'exploitation capitaliste qui l'écrase. La critique de Marx est une des plus violentes, mais elle illustre bien le doute qui s'immisce dans certains esprits du XIXe : et si la société n'avait pas besoin de Dieu pour fonctionner ? Sur cette base se construisent l'Etat laïque et le droit positif : les valeurs, les codes sociaux n'ont plus une origine divine mais bien humaine et rationnelle. [...]
[...] Autant dire qu'en réfutant la thèse de la Création divine (d'ailleurs datée, à l'heure près, par certains scientifiques catholiques), Darwin devient l'homme à abattre. Malheureusement pour Dieu, Darwin n'est pas le seul homme de science à concevoir un ordre naturel différent de celui soutenu par les églises chrétiennes. Le positivisme d'Auguste Comte, en prétendant expliquer tous les phénomènes naturels et comportements humains par l'expérience et la démonstration scientifiques, ne laisse plus beaucoup de place à la mystique divine dans l'univers (il veut faire passer le monde de l'état métaphysique à l'état scientifique). [...]
[...] Le 19e siècle en Europe (A. Colin, 2003) Un bon manuel pour certaines problématiques ; certaines questions ne sont pas traitées très profondément, mais on a une vue d'ensemble et ça aide BEAUCOUP. René REMOND. Religion et société en Europe : la sécularisation au XIXe et XXe siècle (1789-2000) (Seuil, 2001) Se lit très vite, mais manque d'organisation et de fil conducteur dans son étude ; très théorique, axé sur l'aspect plus abstrait de la modernité politique et institutionnelle, le livre recèle néanmoins de très bonnes anecdotes et, surtout, des problématiques intéressantes. [...]
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