En Décembre 2001 a eu lieu à La Haye le prononcé du jugement du tribunal de Tokyo afin d'établir la culpabilité des soldats de l'armée impériale japonaise de l'Empereur Hirohito pendant la guerre mondiale. Ce tribunal populaire, présidée par Gabrielle Kirk MacDonald, ancienne présidente du Tribunal International de l'ex-Yougoslavie a été crée à l'initiative d'organisations non gouvernementales défendant les droits de l'homme et des «femmes de réconfort », victimes des agissements de l'armée. L'armée japonaise s'est en effet rendue coupable de crimes contre l'humanité en organisant des camps mettant a la disposition des soldats des femmes afin de satisfaire leurs besoins sexuels : ainsi, elles ont subis des viols collectifs, associés à des stérilisations forcées, des tortures sexuelles. Ce véritable esclavage sexuel n'a toujours pas été reconnu par le gouvernement japonais, qui a dénié aux femmes victimes le droit à des excuses publiques, refuse que les manuels scolaires mentionnent cette partie du passé collectif de la nation japonaise. L'institution de ce tribunal a essentiellement vocation à instituer un droit de parole publique aux victimes.
Ce droit de parole, qui présente plusieurs vertus, est aussi bien attaché à l'idée d'un devoir de mémoire qu'à celle d'un droit à l'oubli. Lié au devoir de mémoire, la parole qui est accordée aux victimes permet de remémorer les erreurs et massacres du passé, de leur attribuer une place dans l'histoire, de les porter à la connaissance des jeunes générations pour empêcher leur répétition. Lié au droit à l'oubli, la parole qui est accordée aux victimes facilite leur travail de deuil et rend possible le pardon.
- Nécessité d'un devoir de mémoire,
- Le combat du devoir de mémoire,
- Les risques liés au mauvais usage du devoir de mémoire,
- Les possibles remèdes aux dangers d'une mémoire pervertie,
- Le dépassement de l'alternative et l'idée d'une démarche en faveur de la justice ou / et du pardon.
[...] Ils avaient donc eu le temps de réfléchir, de consulter leur conscience d'homme, même si leur condition de soldat en guerre les avaient fait basculer dans une autre dimension, autorisant tous les recours pour gagner la guerre. On peut également se poser des questions sur le Rwanda où des Français portent une part de responsabilité de crimes graves. Toute la vérité sur ce conflit n'est d'ailleurs toujours pas éclaircie. Ces contre-exemples montrent à quel point la mémoire est importante : si les Français sont allés jusque là, c'est que le travail de mémoire était encore insuffisant et qu'il doit être développé encore. [...]
[...] Or, ce même devoir est susceptible de conduire aux résultats qu'il prétend éviter. Certains auteurs ont ainsi constaté qu'un retour obsessionnel sur le drame d'Auschwitz pouvait jouer un rôle d'écran, dissimulant d'autres crimes collectifs. Il suffit de songer aux nombreuses victimes de la terreur stalinienne, mais aussi aux crimes contemporains tels que les génocides du Rwanda et de Bosnie. En ce sens, Pascal Bruckner qui, dans la Tentation de l'innocence dénonce les risques d'un souvenir exclusif d'Auschwitz : «Plus nous célébrons les suppliciés d'autrefois, moins nous voyons ceux de l'actualité ( ) Une telle attitude, au lieu d'accroître notre aversion pour l'injustice, nous ferme à la compassion Pour preuve, au moment même où l'Europe commémorait le cinquantième anniversaire de la découverte des camps de concentration, en 1995, de nombreux massacres furent perpétrés au Rwanda. [...]
[...] Lieu de mémoire, le tribunal est aussi celui qui encourage à l'oubli. Une fois les coupables jugés et punis, les réparations obtenues s'il y a lieu, vient le moment où il faut oublier le passé. En effet, outre qu'il favorise la paix, l'oubli du passé est la condition et le terme de toute évolution, de toute installation dans le présent, a fortiori de toute espérance, de toute pensée tournée vers l'avenir (Nietzsche.) A la condition que le mal et les injustices commises aient été réparées, l'oubli est ce qui fait place au vivant. [...]
[...] Ces études lui donnèrent la possibilité d'expliquer les multiples rouages de l'univers concentrationnaire (Pour la vérité sur les camps concentrationnaires). Les dangers d'une mémoire pervertie justifient-ils la prétention d'un droit à l'oubli ? L'affirmation d'un devoir de mémoire, lorsqu ‘elle entraîne des abus ,pose la question d'une légitimité d'un droit à l'oubli. La formule d'E.Renan - Pour tous, il est bon de savoir oublier - semble aller dans ce sens puisqu'elle suggère la nécessité, pour une nation, d'effacer le souvenir des massacres ayant présidé à sa naissance. En tant que nécessité sociale, l'oubli n'était d'ailleurs pas ignoré des anciens. [...]
[...] Ceux-ci doivent alors redevenir des acteurs, chacun ayant le devoir de mémoire, mais aussi de pardonner. Paul Ricoeur considère enfin que les lois d'amnistie, identifiées au pardon, si elles ont l'effet positif de faciliter la cohésion sociale, peuvent aussi se révéler dangereuses : le travail de mémoire ne se faisant pas, les désirs de vengeance grandissent de jour en jour et les risques de représailles s'accentuent. Il s'agit en conséquence d'opposer le devoir de mémoire à un travail de mémoire, construit sur le modèle du travail de deuil théorisé par la psychanalyse. [...]
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