Dans les Politiques, Aristote énonce des leitmotivs de sa pensée : « L'homme est par nature un animal politique ». Dès lors qu'il appartient à une communauté, l'homme s'engage d'une certaine manière à payer une dette, en d'autres termes, il doit. Cette dette, ce « devoir de l'homme » n'est évidemment pas de nature financière, il s'agit pour lui de « penser comme il faut ». La beauté de l'aphorisme de Pascal provient de son équivocité délibérée, de son ambiguïté : qu'est-ce que « penser comme il faut » ? Loin de réduire cette formule à un sens univoque, nous essaierons de la saisir par des approches différentes tout en l'articulant avec le sujet de la prédication « le devoir de l'homme ».
Dès la naissance, nous sommes entourés d'hommes. Nous naissons donc dans la société des hommes, avec ses règles, ses normes, ses conventions que le langage nous fait voir comme naturelles par habitude. Acceptées car intégrées en nous de façon inconsciente, les conventions rendent-elles les normes auxquelles l'homme doit se soumettre ?
[...] En conclusion, la formule de Pascal est belle pour son ambiguïté. Nous avons vu que si nous voyons dans le comme il faut une dimension de morale établie, nous nous heurtons à une antinomie entre le penser et la morale établie, le penser devenant une pensée préétablie. Le dépassement entre morale et contre-morale se fait par la pensée se contemplant, par le penser : le propre de l'homme est de penser, c'est donné à tous, et c'est un devoir dans la vie en communauté. [...]
[...] Y a-t-il un devoir de l'homme ? Dans la Généalogie de la Morale, Nietzsche se moque de la morale du troupeau, de la morale établie qui se structure sur le mode absurde tu es méchant donc je suis bon Mais pour Nietzsche, la morale même n'a pas de sens, car pour lui, toute communauté rend commun : il y a donc, dans la vie en communauté, la garantie que tout essai de morale universelle devient inévitablement la morale du troupeau. [...]
[...] Donc, que le devoir de l'homme reste de se plier à une morale établie est absurde. C'est absurde, évidemment, si la morale établie se révèle destructrice de l'homme, comme dans le cas des totalitarismes, ce qui ne veut pas dire qu'il faille renverser dogmatiquement toute morale. L'antimoralisme est une autre morale établie qui ne nous convient pas plus que le totalitarisme. Cette alternative morale / antimorale peut être dépassée par la compréhension du problème qu'elle révèle, qui est celui du fondement de la morale. [...]
[...] Il se peut que le seul fondement pour une morale qui ne se veuille pas établie soit le penser : penser est une éthique, penser comme il faut est le fondement d'une vraie morale. Aristote nous propose dans l'Éthique à Nicomaque une éthique du penser. Penser suppose un effort, il faut établir une distance entre notre immédiateté et nous-mêmes, nous arrêter, réfléchir, par induction, nous opérons une transition entre le phénomène et le noumène, pour réaliser que la contemplation des principes, la philosophie, est l'exercice le plus propice à la recherche d'un fondement pour la morale. [...]
[...] Or, dans le Protagoras, Platon semble affirmer que la vertu ne s'enseigne pas, ne s'apprend pas, c'est pourquoi, malgré la grande vertu de Périclès, ses enfants sont irresponsables et blâmables. Nous nous retrouvons donc dans une impasse. Si le penser est donné à tous, le vrai penser, alors la formule de Pascal nous semble absurde ; si ce n'est pas donné à tous et que ça ne s'enseigne pas, c'est le fondement même de la morale qui s'écroule, celle-ci ne pouvant être universelle. Comment pourrait alors le penser comme il faut être un devoir de l'homme ? [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture