Que l'amour, c'est-à-dire ce sentiment de sympathie très fort pour un autre que soi-même, soit passionnel, filial, paternel ou maternel, fraternel, physique ou «platonique», il semble toujours traduire l'attachement éprouvé par quelqu'un envers quelqu'un. Cet attachement peut être vécu sur le mode de la dépendance, et l'amour apparaît alors comme une passion fatale qui place l'individu dans une passivité totale. Mais dans le même temps, l'amour est un sentiment extrêmement valorisé et apprécié parce qu'appréciable : il consiste à avoir en sympathie l'autre (et il ne peut, semble t-il, y avoir de lien plus fort avec autrui), à lui vouloir du bien ; et même plus, on considère qu'il ne peut y avoir de vie accomplie, voire peut-être de bonheur, sans amour. On comprend ainsi mieux qu'une morale, comme celle prônée par le christianisme, nous enjoigne « d'aimer son prochain comme soi-même ». Ce n'est en effet, ni la haine, ni l'indifférence qui peuvent régler nos rapports avec les autres, seules le peuvent la bienveillance et la bienfaisance philanthropiques (terme formé à partir de philia : amour/amitié et anthropas : homme). De plus, c'est par ces dernières qualités que nous ferons volontiers notre devoir, par lesquelles nous ferons notre devoir avec amour, pourrait-on dire. Un acte d'amour, le fait d'aimer ne peut qu'être bon semble t-il, dès lors pourquoi ne pas faire de l'amour un devoir ?
[...] Et si l'on parle d'amour du prochain, il faut alors entendre respect pour tout homme. Pourtant Kant est amené à distinguer deux types d'amours : l'amour pathologique et l'amour pratique (pratique signifiant, chez Kant, à la fois “relatif à l'action” et Ce dernier consiste à faire du bien aux autres (il est donc à la fois actif et moral), et il est le seul qui puisse être commandé. Alors que l'amour pathologique est cet amour qui naît de la sensibilité par la rencontre contingente avec un objet totalement singulier que nous avons jusqu'à présent considéré comme étant l'amour au sens propre. [...]
[...] La force de l'impératif d'amour est finalement qu'il est la réalité. Bien loins que son amoralisme le condamne, il est au contraire, la seule réponse à la morale abstraite et vide du pur devoir kantien. Et si la réfutation hégélienne de la morale kantienne ne s'accompagne pas de la constitution d'une morale hégélienne, c'est que la religion chrétienne donne dans l'impératif d'amour le vrai principe d'une conduite humaine. L'impératif lui-même échappe au jugement du rationalisme comme l'amour à celui de la morale. [...]
[...] Et c'est là qu'il faut voir la véritable logique de l'amour qui est celle du don et de la circulation. Ainsi l'amour est finalement déclaration de la valeur de l'autre, reconnaissance. ( 3.3 )Mais, alors cet impératif n'a rien de normatif, d'obligeant au sens propre du terme. Pourtant, si nous revenons sur la nature même de l'amour, il faut également considérer que l'amour peut faire l'objet d'une volonté, d'une décision : il faut vouloir aimer pour le pouvoir ; il faut s'en donner les moyens. [...]
[...] En effet, les raisons de cet amour sont avant tout à chercher dans l'objet de l'amour, à savoir la personne aimée. Mais pas seulement, il faut également les rechercher dans notre propre personne, dans le que nous sommes sans pouvoir pour autant le connaître objectivement. En effet, si nous aimons une personne c'est parce que cette personne et nous-mêmes avons atomes crochus”, dit-on communément : il s'agit d'une rencontre entre ma personne en tant qu'être purement singulier ayant des caractéristiques propres et une autre personne dans sa singularité aussi bien physique que “morale”. [...]
[...] De l'amour d'objet, il faut distinguer l'amour de soi ou narcissisme : je m'aime moi-même. Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire spontanément et naïvement cet amour de soi n'est nullement premier dans l'être humain. Selon la théorie psychanalytique, le narcissisme se constitue par l'intériorisation d'une relation intersubjective. Plus concrètement, pour s'aimer soi-même, il faut d'abord avoir été aimé : le narcissisme se constitue sur le modèle de l'image que se fait le sujet de l'amour qui lui a été porté, exactement comme l'enfant prend pleinement conscience de son image, en intégrant la possibilité d'un regard extérieur sur lui-même : ce que je vois dans la glace c'est ce que les autres voient de moi. [...]
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