"Ce qui pour les hommes a le plus de valeurs c'est la vertu, c'est la Justice, c'est la règle, ce sont les lois." Après une longue discussion avec Criton qui veut convaincre Socrate de s'enfuir, celui-ci lui rappelle dans cette formule la valeur centrale des lois. Pour rester en accord avec ses principes parmi lesquels l'obéissance aux lois de la Cité tient la place principale, Socrate se laissera condamner. Dans le Criton, Platon pose le problème de la désobéissance aux lois et y apporte une réponse : obéir ou partir. Est-ce là toute la réponse à la question de savoir si désobéir aux lois est légitime ?
Pour désobéir à une loi, l'individu doit opérer un travail intellectuel de disqualification de la loi considérée, en la confrontant par exemple à des normes qu'il juge supérieures.
Malgré tout la question se pose : est-il possible de désobéir aux lois, et cette désobéissance est-elle alors légitime ?
Cette question exige une définition très précise de notions fluctuantes et complexes. Tout d'abord il est important de définir ce qu'on entendra par "lois". La définition peut être purement formelle et juridique, l'acte émis par le pouvoir législatif ou législateur . Mais on peut parler aussi de lois religieuses ou de lois morales. La loi peut être entendue au sens de lois physiques du terme c'est à dire comme les principes de fonctionnement d'une société considérée ; Comme les lois de la gravitation s'appliquent aux objets, telle société aurait aussi des lois de fonctionnement. Dans ce dernier cas la définition est purement objective: les considérations morales, éthiques ou religieuses en sont alors exclues.
La définition qui sera retenue sera celle d'un acte impersonnel et général émis par le législateur.
La désobéissance implique ici un comportement de l'individu. C'est à dire que ce sont les individus qui décident souverainement de désobéir aux lois. Le mouvement peut être collectif, s'il regroupe un certain nombre d'individus, mais il a sa source dans des volontés particulières. On ne peut pas dire par exemple que les juges désobéissent à la loi; ils la contournent, ils la violent, ils l'annulent, dans le cadre du conseil constitutionnel français, mais ils n'y désobéissent pas.
Enfin il s'agit de déterminer ce qu'on peut entendre par légitime. Légitime vient de la même racine que loi: lex. Dans une acception étroite, dépassée, c'est ce qui est conforme à la loi. Plus exactement on pourrait dire qu'est légitime ce qui est conforme aux lois, largement entendues: c'est à dire conforme à l'équité, à la justice, aux lois morales.
Cette définition de légitime reste encore imprécise pour être exploitée. La notion de légitimité au sens absolu, dépasse le cadre légal: c'est un ensemble de notions supérieures aux lois humaines et qui les transcendent. Ce sont aussi des normes qui sont générales par opposition à la loi qui est relative (puisqu'elle change de pays à pays et qu'une loi peut être rapportée par une autre loi ). Autrement dit quel que soit le régime ces normes sont pratiquement identiques. Ces normes peuvent être regroupées sous le terme générique de droit naturel. Est donc légitime ce qui est conforme au droit naturel. C'est Sophocle qui donne le premier une définition aussi belle qu'imprécise de ce concept lorsqu' Antigone apostrophe Créon :
« je ne croyais pas tes édits qui ne viennent que d'un mortel assez fort pour enfreindre les lois sures, les lois non écrites des dieux. Ce n'est pas aujourd'hui ni d'hier mais toujours qu'elles vivent et nul n'en connaît l'origine » (vers 455 et suivants).
Le droit naturel se compose de l'ensemble des droits de l'homme tels qu'ils ont été notamment repris et développés par la Révolution : l'égalité devant la loi, la propriété, la liberté de conscience, d'expression, la prohibition des traitements dégradants etc.…
Désobéir aux lois peut-il être légitime? Autrement dit lorsqu'une loi est « illégitime », c'est à dire lorsqu'elle est en contradiction avec les principes de droit naturel, est il ou non possible pour les citoyens ou le citoyen de l'écarter de sa propre initiative?.
Les implications posées par un tel sujet sont importantes, car les lois impliquent dans leur définition même une sanction, une contrainte. Sans cette contrainte, la loi n'existe pas puisqu'elle est ni générale ni absolue. C'est aussi toute la structure de l'Etat qui est remise en cause si les citoyens décident de ne pas obéir à certaines lois. Les dérives sont très nombreuses dans ce système unilatéral. D'une part il y aurait un retour à la souveraineté des individus bridée uniquement par un droit naturel assez vague dans son contenu. Ce retour à la souveraineté des individus entraînerait le retour à un état de guerre de chacun contre tous. Parallèlement on voit bien qu'il est parfois légitime de désobéir à certaines lois: Une loi qui bien que votée par le parlement est contraire à un droit fondamental, comme par exemple une loi qui instituerait la torture, ou qui opérerait des discriminations entre personnes placées dans une même situation, semble justifier un refus légitime de s'y conformer.
A ce stade il apparaît nécessaire d'opérer une distinction fondamentale entre les régimes qualifiables d'état de droit et les régimes oppressifs.
Un Etat de droit est un Etat qui respecte les principes fondamentaux du droit naturel de manière effective. Les critères sont les suivants: les trois pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaire doivent être séparés, le pouvoir judiciaire doit être strictement indépendant. Le pouvoir législatif doit procéder d'élections libres, honnêtes, et à intervalles réguliers. Les élections doivent être fondées sur le suffrage universel, seul à donner sa légitimité au pouvoir législatif. Dans un tel Etat, il apparaît que la désobéissance unilatérale des citoyens aux lois est illégitime: il existe en effet une présomption de légitimité pour un tel Etat et en cas de conflit ou de doute, un juge par hypothèse indépendant, est compétent pour réformer annuler ou écarter la loi.
Dans un Etat dictatorial et oppressif, oû la loi est le produit d'un parlement dont les membres ont été élus dans des conditions douteuses, ou dont les lois ne procèdent pas du parlement, la situation est tout autre: Le citoyen est ici potentiellement confronté à des lois qui ne respectent pas les principes de droit naturel et qu'on peut des lors qualifier d'illégitimes c'est à dire des lois en violation du droit naturel. Dans ce cas il est légitime qu'unilatéralement les individus décident de ne pas se plier à des lois qui heurtent leur conscience.
Apres avoir montré que face à une loi « illégitime » il est « légitime » d'y désobéir et que c'est même un devoir (I) il sera montré que dans un Etat de droit il est illégitime d'y désobéir (II).
[...] Dans le cas de l'Etat de droit il pèse sur les lois une présomption de légitimité : c'est au citoyen de prouver l'illégitimité de celle-ci. S'il ne le peut pas la loi est légitime : il doit s'y conformer sans réserve. C'est bien l'alternative que pose Socrate dans le Criton quand il parle des lois d'Athènes qui est une démocratie à l'époque: 'il faut ou se conformer aux lois, ou prouver qu'elles sont injustes : en offrant sa mort comme dernière preuve ou sa vie'. [...]
[...] Des lors il peut être difficile de discerner si la loi en cause est ou non légitime. En effet il peut être tentant d'instrumentaliser cette faculté pour servir des intérêts personnels et égoïstes. Montesquieu le constate dans Arsace et Isménée "Il [Arsace] avait souvent remarqué que chacun appelait loi ce qui était conforme à ses vues et appelait abus tout ce qui choquait ses intérêts". Mais la différence entre celui qui désobéit a une loi parce qu'il estime qu'elle est contraire aux droits fondamentaux et celui qui en prend prétexte pour servir ses intérêts réside dans le fait que le premier revendique à haute voix cette violation en s'appuyant sur les principes qu'il énumère; il s'inscrit en faux contre la loi, alors que le second cherchera au contraire à le faire discrètement. [...]
[...] Désobéir aux lois peut-il être légitime? Autrement dit lorsqu'une loi est illégitime c'est à dire lorsqu'elle est en contradiction avec les principes de droit naturel, est il ou non possible pour les citoyens ou le citoyen de l'écarter de sa propre initiative ? Les implications posées par un tel sujet sont importantes, car les lois impliquent dans leur définition même une sanction, une contrainte. Sans cette contrainte, la loi n'existe pas puisqu'elle est ni générale ni absolue. C'est aussi toute la structure de l'Etat qui est remise en cause si les citoyens décident de ne pas obéir à certaines lois. [...]
[...] Dans ce dernier cas, si la loi est illégitime le gouvernement y renoncera ou la modifiera. S'il n'y renonce pas c'est que la pression n'était pas assez forte. Ce manque de pression populaire indique que les individus ne considèrent pas que la question soit une menace pour les droits fondamentaux. Dans ce cas la désobéissance à une telle loi est illégitime car sans objet puisque la loi est présumée juste. L'appréciation de la légitimité d'une loi se fait par rapport aux principes du droit naturel qu'on ne peut pas dénombrer: les droits civils et politiques et les droits économiques et sociaux. [...]
[...] Cependant, la loi pose parfois des dérogations à ses dispositions lorsqu'elle concerne n problème éthique. Par exemple on ne peut pas forcer un médecin a pratiquer un avortement, on ne peut pas non plus forcer quelqu'un à porter les armes ; Les Etats démocratiques admettent largement l'objection de conscience. B. La désobéissance aux lois dans un Etat de droit est très déstabilisante, mais elle peut être aussi un facteur de sauvegarde de l'Etat de droit La crainte d'une déstabilisation du système conduit Socrate à refuser de déroger aux lois, fussent-elles illégitimes. [...]
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