L'opposition entre besoin et désir est classique : le premier relève d'une exigence de la nature et présente par là même un caractère de nécessité ; le second relève de la culture, de l'artifice, ce en quoi son objet a quelque chose de contingent. La cause semble donc entendue : il semble vrai de réduire l'animal à la sphère bornée du besoin et d'affirmer que l'homme, par le désir, recherche autre chose que ce dont il a physiquement, biologiquement, besoin. Toutefois, besoin et désir ayant en commun d'être des structures de manque, ne peut-on pas penser besoin et désir en termes de parenté et de continuité plutôt que d'opposition et de rupture ? (...)
[...] La conduite de l'animal, propre à satisfaire le manque qu'est le besoin, est celle d'un automate, et cet automatisme ne se met en mouvement qu'en présence de l'objet du besoin. De même, la conduite de consommation plongera dans la léthargie de l'assouvissement. L'animal, qui n'est libre, ne peut s'écarter du comportement rigide et stéréotypé de l'instinct. Il n'a aucun pouvoir d'écart par rapport à la règle naturelle et à ce qu'elle lui prescrit. De même, ne possédant pas de langage, il ne peut se représenter es choses en leur absence, il ne peut se représenter l'irréel. [...]
[...] L'homme paraît comme un animal malade de désir. Mais ne serait-ce pas parce qu'il est plus que nature : non seulement animal d'artifice mais encore animal métaphysique ? Etant libre, il peut effectivement s'écarter de la règle que prescrit l'instinct : il a une liberté, un pouvoir de premier commencement, d'initiative. Il a un langage, un pouvoir de se représenter les possibles, condition du désir : on ne désir les choses que sur les idées qu'on en a. Il y a donc en l'homme une transformation métaphysique du besoin en désir, qui l'ouvre à l'univers des possibles. [...]
[...] Le désir, douleur et dynamisme à la fois exaltant et harassant, n'est-il pas l'aspiration à la valeur qui préside à toute création : création d'œuvre, création d'une vie qui soit une œuvre ? Mais si la valeur ne peut jamais, comme telle, s'incarner dans l'être, cela signifie aussi que pour la conscience désirante jamais la tâche de construction de soi n'est achevée. C'est donc par essence que l'homme, être de désir, est un être inachevé : un être libre qui a toujours à être ce qu'il doit être. [...]
[...] Toutefois, entre la nature et l'esprit, n'y a-t-il pas une certaine forme de continuité qui permettrait de dépasser cette opposition tranchée ? Ne peut-on pas alors, à l'instar d'Hegel, voir dans le besoin animal et le mouvement de la vie première manifestation du désir et de l'esprit au sein de la nature ? Inversement, ne peut-on pas penser les besoins des hommes comme pris dans la dialectique historique de leurs désirs ? On peut comme Hegel, voir l'émergence de la vie au sein de l'inerte comme le travail de la négativité introduisant le mouvement au sein de la nature. [...]
[...] Au contraire, chez l'homme, les désirs passent les besoins physiques. D'abord, parce que l'homme n'est pas seulement nature, mais aussi histoire. Freud marquait ainsi la différence essentielle entre le besoin et les pulsions morcelées de la petite enfance : alors que le besoin a un objet spécifique et fixe, selon la nécessité naturelle, les pulsions enfantines et leur transportation dans le domaine affectif sous forme de libido investissent tel ou tel type d'objet, suivant les vicissitudes de chaque histoire singulière. [...]
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